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Médecine, sexe et pouvoir

J’ai eu une externe de 4ème année en stage. Charmante et intelligente. Un vrai plaisir comme bien souvent.
Je me souviens d’une consultation avec une jeune femme. C’était en fin de journée, il faisait beau, on avait le temps et tout le monde était de bonne humeur.

On parle gynécologie. La patiente me dit l’exigence de son gynéco de lui faire des frottis tous les ans et qu’elle n’aime pas bien ça.
Je me tourne vers l’externe, je lui demande ce qu’elle en pense. La conversation s’engage à trois.

Cette externe, qui sera bientôt médecin, déjà une soignante et qui, j’en suis sûr, sera une soignante attentive, nous explique que c’est son gynécologue qui lui prescrit sa contraception et qu’elle le voit donc tous les ans. Qu’il exige qu’elle ait, chaque année, un examen au speculum avec un frottis. Que, sinon, il refuse de lui renouveler sa pilule. Qu’il lui demande toujours de se déshabiller intégralement et qu’il lui fait une palpation des seins.

Et je découvre, stupéfait, que tout ceci lui paraît absolument naturel. Une obligation désagréable certes, mais une obligation évidente qu’il n’y a même pas à questionner.

Les échanges lors de cette consultation et par la suite ont été, je crois, une vraie révélation mutuelle et cette stagiaire, qui n’imaginait pas qu’une consultation gynécologique puisse se dérouler différemment, a fait un vrai travail de recherche sur la manière dont ça pouvait se passer, ailleurs, et sur le ressenti des femmes.

Et je lui ai validé son stage. (Oui, bon… j’ai toujours validé les stages… disons que je l’ai validé avec enthousiasme.)

Je passerai rapidement sur l’inutilité de pratiquer un examen gynécologique chez une jeune femme de moins de 25 ans qui ne se plaint de rien. C’est même assez inacceptable avant 20 ans, à un âge où l’on est encore dans la découverte de son corps et de la sexualité.
Si on veut installer l’idée que le sexe, plutôt qu’une source de plaisir amoureux, est un danger permanent qu’il convient de médicaliser et, ainsi, de « génitaliser », c’est même un très bon moyen.

Je ne m’attarderai pas davantage sur le pur scandale que représente ce chantage à exiger que le patient se plie aux contraintes qu’on entend lui imposer sous peine de se voir refuser toute prise en charge.
Rappeler à une femme de 30 ans que le frottis c’est important, c’est notre boulot. Refuser de lui prescrire sa contraception si elle n’accepte pas de s’y prêter, c’est lui placer un revolver sur la tempe. C’est une relation de pouvoir et non pas une relation de soin.

Ce que j’ai trouvé vraiment édifiant dans ce dialogue, c’est combien certaines de nos maltraitances pouvaient être perpétuées non pas parce que les soignants français seraient fondamentalement malveillants (il y a bien quelques connards sadiques dans le lot mais je suis sûr qu’ils sont minoritaires), mais parce que, tout simplement, ils n’interrogent pas leurs pratiques.
Même pétris d’une réelle volonté de bien faire, des soignants peuvent pourtant être maltraitants au nom du simple « on a toujours fait comme ça ».

Il est donc temps, de clore cette trilogie que je n’avais pas anticipée par deux gestes que je n’ai pas encore abordés.
La palpation des seins tout d’abord.
L’habitude de déshabiller intégralement les femmes ensuite.

***

Faut-il tâter les tétons ?

(Je n’aborderai pas ici la question de la mammographie de dépistage – qui n’est de toute manière justifiée pour la population générale que de 50 à 70 ou 75 ans et uniquement dans un cadre organisé -, ni celle des femmes à haut risque en raison de leur terrain familial.)

La palpation des seins est pratiquée de longue date dans l’espoir de permettre le dépistage précoce de cancers du sein. L’idée sous-jacente est que « plus tôt on détecte, plus tôt on traite, mieux c’est ».

Cette technique paraît intéressante : elle est simple, gratuite, sans risque direct et généralement pas trop pénible.

Elle est même tellement simple qu’il a été proposé de l’enseigner aux femmes elles-mêmes et de les encourager à pratiquer régulièrement des autopalpations. Idée séduisante mais qui se heurte à la réalité.

Deux essais comparatifs réalisés en Russie et en Chine (reprises dans cette Méta-analyse et dans une synthèse Cochrane) ont regroupé au total 380 000 femmes (pour les non connaisseurs : c’est énorme et ça donne généralement des résultats très fiables).

La conclusion est malheureusement claire : aucun bénéfice n’a été retrouvé.

Par contre, la pratique des autopalpations a considérablement augmenté le nombre de consultations médicales, de biopsies négatives, d’examens invasifs et probablement l’anxiété de ces femmes.

Cette pratique – qui est pourtant encore régulièrement proposée – est donc, malheureusement, inutile et certainement même nuisible.

Ce qui n’empêche pas, bien évidemment, qu’une femme qui remarque une modification d’un de ses seins, une douleur ou toute autre anomalie suspecte doive consulter sans tarder. C’est la base d’une stratégie promue dans les pays anglo-saxons, plus particulièrement au sein de la profession infirmière : le « breast awareness« .

Ce terme n’a visiblement pas encore trouvé son équivalent en français. On pourrait parler de « mammo-vigilance » (si quelqu’un trouve un terme plus heureux, ce sera parfait).

Cette stratégie manque de preuves solides pour l’appuyer mais elle semble de bon sens et propose une démarche plus globale et moins systématique. Vous pouvez trouver ici la version francophone (mais oui !) de la brochure que propose le NHS (l’assurance maladie britannique) sur le sujet.

Bon, oui, ok, l’autopalpation ce n’est pas bien. Mais la palpation par un professionnel, ça fait tout de suite beaucoup plus sérieux, non ? C’est sûr que, ça, ça doit être efficace et sauver des vies.

Eh bien, on n’en sait rien. Rien du tout.

Aucune étude convenable n’a étudié les performances de la palpation de manière isolée. Les seules études ont été faites dans le cadre de stratégies associant ou non des mammographies. Une étude philippine avait démarré mais a rapidement été stoppée en raison de difficultés de suivi.

Il faudra donc probablement attendre la fin d’une grande et passionnante étude indienne (150 000 femmes de 35 à 64 ans, suivies dans des conditions très proches de ce que l’on pourrait faire dans la « vraie vie ») dont une analyse intermédiaire est parue récemment.

En-dehors d’un examen couplé à une mammographie, palper les seins d’une femme n’est certainement pas une faute. Ne pas les palper non plus puisqu’on ne dispose d’aucune preuve scientifique de l’intérêt de cet examen effectué seul.

Encore faut-il, si on souhaite proposer une palpation, se rapprocher du (faible) cadre que nous donnent les quelques études disponibles (uniquement dans le cadre de comparaisons avec la mammographie, je le rappelle) :

  • des femmes d’au moins 40 ans (les cancers du sein, bien que dramatiques, sont rarissimes avant 30-35 ans),
  • en respectant un protocole très précis (palpation et examen visuel nécessitant au minimum 3 minutes par sein),
  • par des professionnels qui ont suivi une formation spécifique.

En-dehors de ceci, la palpation des seins ne repose vraiment sur rien.

Il n’est donc pas illogique de la proposer avec prudence si on pense savoir la pratiquer convenablement. On peut raisonnablement la faire à une femme qui est demandeuse et que ça peut rassurer.

Mais l’imposer, en particulier à une très jeune femme, relève davantage du droit de pelotage que d’un acte médical.

***

A poil et couche-toi là.

De toutes les pratiques de certains gynécologues ou généralistes, il en est une qui me scandalise plus que tout…

Je discutais un jour avec un gynéco. Un jeune, de ma génération. Même pas l’excuse d’être un vieux rabougri.

« Ah bon ? Tu les fais déshabiller intégralement tes patientes ?

– Ouais, bon, elles ont le droit de garder les chaussettes hein !

– Mais pourquoi ?

– Ben, c’est comme ça. C’est quand même plus simple. Qu’est-ce que ça change ? De toute façon elles me montrent bien leur chatte. Et puis elles ont été habituées comme ça. »

Le cadre n’était pas à la polémique. Ce confrère était tellement loin du moindre questionnement que je n’ai pas voulu mener la bataille. J’ai donc lâchement changé de conversation et je me suis dit simplement que jamais je ne lui adresserai de patiente.

Mais j’avais quand même envie de lui hurler que ça changeait tout. Que se retrouver à poil, allongée à la disposition du médecin, c’était accepter clairement une position de soumission totale. Que c’était un mépris complet de la pudeur de ses patientes.

Et, surtout, que ça n’avait aucune, mais alors aucune, justification. Que ça ne servait à rien de rien.

Ah ! Si… à faire gagner peut-être 30 secondes au praticien.

Parce que, si vraiment on veut faire un examen génital et palper les seins, il faut quand même le faire en deux fois. Même le plus habile des gynécologues n’arrivera pas à faire les deux choses simultanément. Et il n’est donc tout de même pas très compliqué d’enlever le bas, faire l’examen génital. Laisser la femme remettre son pantalon ou sa jupe, puis enlever le haut pour examiner les seins.

Alors, oui… ça prendra peut-être un tout petit peu plus de temps mais ça me semble tout de même infiniment plus respectueux.

Considérer que ce petit gain de son temps est plus précieux que l’humiliation inutile subie par notre patiente, c’est avoir décidément une très haute opinion de soi-même et faire bien peu de cas de l’autre. Ou alors, si ce n’est pas une question de gain de temps, c’est encore pire : une attitude, peut-être même inconsciente, visant clairement à asseoir la domination du praticien (que ce soit un homme ou une femme n’y change rien) sur son patient.

C’est pourquoi, lors d’un examen gynécologique, refusez de vous déshabiller intégralement si ça doit susciter la moindre gêne chez vous. Car rien ne le justifie.

Et n’hésitez pas à changer de médecin s’il veut vous l’imposer. Ce n’est rien d’autre qu’un viol de votre intimité et ce n’est pas parce que l’autre porte le titre de « Docteur » qu’il ou elle en a le droit.

La noblesse de la médecine, c’est de prendre soin de nos patients. Ce n’est pas d’exercer notre pouvoir sur eux.