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Biscottes

Je n’aurais pas dû m’occuper de Mimi.

Elle habitait un village bien trop éloigné de mon cabinet. Pas du tout mon secteur.

Je connaissais son neveu et il m’avait demandé de prendre le relais pour elle après une hospitalisation. Elle était veuve, n’avait pas d’enfants, elle était sous tutelle. Moi, j’étais installé depuis à peine un an, j’avais encore un peu de temps, j’ai dit oui.

Elle était suivie par un neurologue pour une soi-disant maladie d’Alzheimer. Il lui avait collé des médicaments inutiles et même dangereux pour sa grosse insuffisance cardiaque. Avec son diabète en plus, elle n’avait vraiment pas besoin de ça. J’avais commencé par faire du ménage.

Il faut admettre qu’elle n’avait plus toute sa tête depuis un moment. Encore suffisamment pour reconnaître ses proches, circuler dans sa maison, manger seule les repas préparés. Mais pas beaucoup plus. Quand j’arrivais chez elle, je la saluais :

— Bonjour Mme Mimi, vous savez qui je suis ?

Elle me regardait, me souriait, me répondait « Oui, bien sûr », me souriait encore. Puis ses yeux allaient vers ma sacoche, la scrutaient un instant.

— Ah ! Mais vous êtes le Docteur.

Sa chance c’est qu’elle n’a jamais été fugueuse. Elle ne bougeait pas de son intérieur, tentait rarement une rapide incursion dans son jardinet.

Petit à petit, les conditions de son maintien à domicile s’étaient organisées. Nous avions fait une réunion à mon cabinet avec la tutrice, l’infirmière du village, le neveu et un cousin. Chacun avait décidé de faire de son mieux. Et même un peu plus. Aucun de nous n’avait eu tant que ça à prendre sur soi : Mimi était aussi rigolote que gentille.

La télécommande de la télé avait été retirée et on avait vissé un cache en bois devant l’appareil ne laissant accessible que le bouton de marche : ça évitait qu’elle dérègle tout. Le gaz avait été coupé, une plaque à induction achetée. Comme elle était incapable de se modérer, le pain était planqué dans la cabane du jardin.

Nous avions tout de même fini par lui enlever la téléalarme : elle l’utilisait un peu n’importe comment et ça commençait à être rude pour l’entourage qui était régulièrement appelé en pleine nuit. Ils culpabilisaient de cette décision et j’en avais fait une prescription médicale. Il me semblait que Mimi gagnait davantage à conserver de la famille présente et aidante, et tant pis pour le risque de chute, plutôt que de les laisser s’épuiser et de n’avoir que la maison de retraite pour alternative.

Il y a un an et demi, Mimi était tombée, s’était ouvert le crâne et les pompiers l’avaient emmenée se faire recoudre aux Urgences sans que je sois au courant. Là-bas, une interne avait eu la présence d’esprit de m’appeler. Je lui avais expliqué la situation et dit qu’il serait sûrement préférable que Mimi rentre rapidement chez elle. Elle était d’accord.

Mais ils m’avaient rappelé une demi-heure plus tard pour me dire qu’elle paraissait trop instable et qu’ils allaient la garder dans un service.

— Bon, je ne l’ai pas sous les yeux. Si ça vous semble indispensable, d’accord. Mais le moins longtemps possible s’il vous plaît.

Et Mimi m’était sortie de l’esprit. Jusqu’à son retour chez elle un mois après. Grabataire.

Classique cercle vicieux : plus elle restait à l’hôpital, plus elle se dégradait. Plus elle déclinait, plus elle les inquiétait et plus on la gardait. Heureusement pour elle, elle avait une si petite retraite qu’une institution n’était guère envisageable. Provoquant la contrariété du confrère hospitalier, qui soulignait « qu’aucune autre solution n’avait été trouvée par la tutrice » et qui jugeait que le « retour à domicile serait difficile ».

De fait, Mimi ne se levait plus, elle restait clouée au lit avec des couches alors qu’elle allait toujours seule aux toilettes jusque-là.

Grosse panique de la famille et des infirmières qui ne savaient pas comment s’en sortir.

J’avais tâché de rassurer ceux que je voyais prêts à flancher, remotivé les infirmières et annoncé, sans trop y croire, qu’on se donnait un mois pour essayer d’inverser la tendance. Ils ont bien voulu tenter le coup. Le médecin-conseil a accepté qu’une ambulance emmène Mimi quatre fois par semaine jusque chez la kiné, à dix-huit kilomètres de là.

Trois semaines plus tard, elle remarchait avec son déambulateur. L’infirmière m’avait raconté en riant ses premiers pas. La gourmandise l’avait emporté : c’était pour s’emparer d’une boite à sucres oubliée sur le buffet de la cuisine que Mimi était repartie à la conquête de la station debout.

Encore un mois et je félicitais toute l’équipe dans le cahier de transmission pour être parvenus à retrouver la situation antérieure.

Depuis, je continuais à passer faire les renouvellements tous les deux mois. Parfois, l’infirmière me faisait venir pour un problème intercurrent, mais c’était rare.

Ce dimanche, lorsque j’ai allumé mon portable, j’avais un message qu’elle m’avait laissé deux heures plus tôt.

Mimi avait fait un malaise, les pompiers essayaient de la réanimer, si je voulais bien téléphoner, ce serait gentil.

Quand j’ai rappelé, l’infirmière m’a confirmé que c’était fini, que les secours avaient abandonné après quarante-cinq minutes de réanimation, mais que, de toute façon, personne n’y avait vraiment cru et que c’était mieux ainsi.

Elle m’avait raconté qu’elle était là quand Mimi allait prendre son petit-déjeuner. Elle était attablée, recomptait ses biscottes, comme d’habitude. Et, comme d’habitude, elle râlait qu’on ne lui en avait mis que trois. Et puis elle avait arrêté de compter « Je vais m’coucher. J’sais pas c’que j’ai, j’ai l’diable en moi. »

Et elle était tombée raide, le visage sur la table.

L’infirmière culpabilisait, elle se demandait si elle avait manqué un élément qui aurait pu changer les choses. J’étais également un peu mal à l’aise : j’avais renouvelé son traitement quelques jours plus tôt et n’avais rien remarqué d’anormal.

Et puis, finalement, nous nous sommes remémoré quelques bons moments, quelques anecdotes amusantes, nous avons ri un peu. Et convenu que ça devait bien arriver à son âge. Qu’après ce bel accompagnement pendant des années, Mimi avait eu droit à une sortie de scène aussi sympa qu’on pouvait l’espérer.

Sans vraiment avoir le temps de s’en rendre compte, elle était morte chez elle, sans douleur, pratiquement dans les bras de l’infirmière qu’elle connaissait bien et qu’elle aimait.

Le nez dans ses précieuses biscottes.

Sisyphe

Au collège et au lycée, j’aimais tout. Sauf le sport et l’allemand.

Lorsqu’il a été question de savoir quoi faire après le bac, j’ai hésité : Math sup ? Science po ? Droit ? Ecole d’archi ? Tout me tentait bien. Bizarrement, Médecine ne faisait pas partie de mes choix.

Il faut dire que  je pensais être plus scientifique que littéraire. Comme j’aimais la biologie encore plus que le reste, j’ai donc fait Math sup bio.

Et moi qui n’avais jamais eu de difficultés jusque là, j’ai rapidement décroché en maths.

Mais je restais persuadé d’être avant tout un scientifique. C’est à cette époque que j’ai lu Plus grands que l’amour de Dominique Lapierre.

C’était décidé : je finissais mon année en séchant les cours de maths et j’irai en médecine l’année d’après. Pour faire de la recherche médicale et pour sauver le monde.

Plus les années de Fac passaient, plus j’appréciais la richesse des contacts humains et moins j’étais attiré par les microscopes et les appareils technologiques.

Tous les organes me plaisaient autant et Martin Winckler a eu la bonne idée de publier La Maladie de Sachs lorsque j’étais en D4. Ce serait donc de la médecine générale.

Jusqu’à présent, je n’ai pas regretté ce choix et j’aime mon métier.

Parfois, pourtant, il m’arrive d’avoir la nostalgie de ne pas être avocat ou architecte.

Car la médecine, et plus particulièrement la médecine générale, est un combat perdu d’avance. Nous savons que nous pourrons gagner des batailles mais que nous finirons toujours par perdre la guerre. Et c’est quand même un peu frustrant.

L’avocat mène ses procès les uns après les autres. Il gagne ou il perd mais, en tout cas, chacun de ses dossiers a un début et une fin.

L’architecte érige des bâtiments qui, s’il a bien travaillé, lui survivront.

En médecine générale, rien de tout ça. Chaque histoire, chaque cas, chaque pathologie, n’est jamais qu’une étape vers l’échéance ultime.

Jamais nous ne pourrons nous asseoir et nous dire : « Voilà, ça y est. J’ai bien bossé, le résultat de mon travail est bon, je peux fermer ce dossier et passer à un autre. »

Même lorsque nous travaillons bien et aidons un patient à se sortir d’un mauvais pas, nous ne faisons, finalement, que l’aider à franchir une marche supplémentaire sur l’escalier de la vie.

Oh, bien sûr, cette tâche reste précieuse. Il ne s’agit pas de dire que notre travail n’aurait aucun sens. Mais, pourtant, il peut être bien décourageant  de voir ainsi une vague succéder à une autre, jusqu’au tsunami qui emportera tout.

Car en médecine générale, nous ne fermons jamais nos dossiers que dans deux cas : pour passer la main à un autre ou parce que notre patient est décédé. De victoire finale, jamais.

C’est bien là, au demeurant, le destin de chaque être humain, condamné à poursuivre sans relâche son inaccessible étoile.

Le travail ne sera décidément jamais achevé.

Il ne nous reste donc qu’à lire Camus, à reconnaître et à dépasser « l’absurdité du réel ». A nous féliciter de la direction de nos efforts plutôt que d’horizons que nous n’atteindrons jamais. A accompagner la perpétuelle lutte que les forces de la vie mènent contre l’inertie de la mort. A nous satisfaire de nous diriger vers le haut de la montagne en gardant le regard fixé sur un sommet dont nous savons, lucidement, qu’il restera inaccessible.

A accompagner les Hommes sur leur chemin, à faire le choix de l’action et à être, aux côtés de nos patients, des Sisyphes heureux.

La bonne mort

C’est un terme qui se discute. Presque un oxymore.

J’en ai déjà vu quelques unes des morts.

Juste un peu avant, ou bien pendant, ou bien juste un peu après… Des patients que je connaissais un peu, d’autres que j’avais accompagné, des que je n’avais jamais vu avant.

En réalité, la mort n’est jamais belle. Jamais, jamais, jamais.

Elle est juste un peu plus ou un peu moins laide, un peu plus ou un peu moins triste, un peu plus ou un peu moins douloureuse, un peu plus ou un peu moins salvatrice.

Ceux qui parlent d’une « belle mort », c’est qu’ils utilisent simplement une tournure de phrase convenue. Ou qu’ils n’en ont jamais vu en vrai.

Mais parfois, c’est exact, il y a des morts qui sont moins hideuses. Que, tant qu’à faire, on se souhaiterait à soi-même ou à ses proches.

Ça faisait huit ans que Pierrette se battait contre son cancer du sein. Pas le genre à laisser tomber. Elle avait bossé toute sa vie avec son mari. Elle était la tête, il était les bras. Ils avaient toujours monté des projets. Quand l’un était achevé, ils redémarraient autre chose.

Mais, parfois, on a beau se battre et gagner des batailles, on ne gagne pas la guerre.

Pierrette était suivie par un confrère du village voisin. C’était en été et il m’avait appelé pour me passer la main pendant ses vacances. Il m’avait prévenu que ça n’allait pas fort, qu’elle avait décidé d’arrêter la chimio, qui ne servait plus à rien, et qu’elle s’affaiblissait de plus en plus.

Elle était perfusée à la maison et avait tout ce qu’il fallait pour calmer les douleurs. Une des infirmières du coin habitait à 200 mètres de chez elle et connaissait bien la famille. Elle passait souvent.

La première semaine, je suis allé la voir tranquillement. Elle avait des nausées. On avait mis en place du Zophren.

Le mardi suivant, elle allait mieux. Presque plus de nausées et, malgré son ventre de pierre, « Les douleurs, ça va, elles sont bien calmées. »

Le week-end à venir, ça tombait bien, j’étais de garde. Ça l’avait rassurée.

Le samedi en fin de matinée, l’infirmière m’appelle. « Il y a un souci : Pierrette n’a plus uriné depuis hier midi. Je l’ai sondée et la vessie était vide. Elle est vraiment fatiguée et les nausées reviennent. »

Ça signifiait que les reins ne fonctionnaient plus, qu’elle s’était mise en insuffisance rénale terminale.

Dans un autre contexte, ça aurait été synonyme de dialyse en urgence. Là, ça voulait dire que c’était la fin.

Je suis venu aussitôt. J’ai examiné Pierrette avec l’infirmière à côté. Toute la famille était réunie et attendait pudiquement dans le salon.

Après l’avoir examinée tranquillement, je me suis assis au bord du lit. Je lui ai demandé si elle avait mal quelque part.

–          Non, ça, ça va.

–          Bon… Vous savez, je crois que vos reins ne vont pas redémarrer, ce n’est pas bon signe…

–          Je m’en doute, vous savez.

–          Qu’est-ce qu’on fait ?

–          Je suis fatiguée.

–          Vous en avez marre de vous battre…

–          Oui, … j’en ai marre.

–          … Je peux mettre des médicaments dans la perfusion qui vont vous permettre de vous endormir et de ne pas avoir mal du tout. Vous voulez qu’on fasse comme ça ?

–          Oui, on va faire comme ça.

Je suis allé dans le salon, il y avait le mari, les enfants, les petits-enfants. Je leur ai dit que ça allait être la fin et qu’on ne pouvait plus retarder l’échéance. Ils s’en doutaient bien eux aussi. Les yeux étaient un peu rouges mais tout le monde était calme.

Je ne sais plus si c’était la réalité ou un souvenir déformé, mais je garde l’image d’une ambiance où la tristesse et la douleur se mêlaient à une sorte de douce sérénité.

J’ai fait des ordonnances, envoyé le petit-fils à la pharmacie de garde et annoncé que je reviendrai une heure plus tard après avoir vu une autre urgence.

A mon retour, tout était là. On a préparé la nouvelle perfusion, ensemble avec l’infirmière. Avant de la brancher, je suis allé voir la famille « Quand on aura démarré la perfusion, elle risque de s’endormir assez vite. Vous pouvez encore aller la voir. »

Ils y sont allés. Se parler ? S’embrasser ? Ou peut-être seulement se tenir la main ?

Quand tout a été en place, j’ai fini par laisser l’infirmière avec Pierrette et son mari. Avant de partir, le fils m’a proposé un café. Je me suis assis avec ses sœurs et lui, et on a parlé un petit moment. De Pierrette et de sa vie, de la maison qu’ils avaient achetée au Maroc et des voyages qu’elle avait faits.

Cinq heures après, dans la soirée, l’infirmière m’appelait pour me dire que Pierrette était partie voir de l’autre côté. Les derniers moments avaient été un peu éprouvants pour tous à cause des râles que la scopolamine n’avait pas fait disparaître mais le passage s’était fait sans douleur.

Lorsque je suis venu faire le certificat, la maison était toujours aussi calme. Les larmes avait coulé mais on sentait surtout tout l’amour qu’il y avait dans cette famille. J’ai aidé l’infirmière à préparer Pierrette et je suis parti.

Quelques mois plus tard, le fils de Pierrette nous invitait, le confrère et moi, pour une balade à cheval pour nous remercier. Et l’an dernier, c’est son père qui s’est remarié avec une femme qui avait connu la même histoire que lui. Life goes on.

Quant à moi, bien des fois, je repense à cette journée. Ce n’est vraiment pas souvent que les conditions sont réunies pour qu’une fin de vie se passe ainsi, à la maison. Mais, ce jour là, vraiment, je crois qu’on s’était tous rapprochés de la meilleure manière dont on pouvait l’envisager. Ensemble.

Glacé

Jacqueline était l’une de mes patientes préférées. Ancienne architecte, à l’époque où, pour une femme, elles ne devaient pas être nombreuses. 80 ans, encore vive, elle continuait à écrire des articles pour une revue professionnelle.

Un caractère de fer et une santé du même métal, je ne la voyais que de temps en temps, pour des bricoles. Elle n’avait aucun traitement de fond.

Jacqueline est venue me voir en octobre et j’ai détesté cette consultation.

Elle s’est assise en face de moi : elle était jaune comme un pissenlit. Je lui ai demandé depuis combien de temps.

– Une semaine environ, je ne l’ai pas remarqué, c’est ma femme de ménage qui est venue aujourd’hui et qui l’a vu.

– Vos selles sont normales ?

– Non, pas vraiment, elles sont décolorées.

– Vous avez mal quelque part ?

– Non, aucune douleur.

Pourquoi m’as-tu répondu ça !? Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu avais mal, là sous les côtes, à droite !? Au moins un peu… Que je puisse espérer que ce n’était qu’un bête calcul.

Je n’avais même plus besoin de t’examiner, je connaissais déjà la suite. Ça ne faisait que deux minutes que la consultation avait commencé mais, de te regarder et de te poser simplement ces deux questions, je savais déjà quel genre de saloperie te dévorait.

Toi, tu étais encore tranquille et sereine, attendant la suite. Moi, j’étais déjà glacé et paniqué, anticipant la fin.

Jacqueline est morte la semaine dernière.

Tempus fugit

J’ai revu Gérard et Madeleine. Ça ne va pas trop mal. Physiquement.

Gérard n’a pas un sommeil extraordinaire : il ronfle, il s’agite un peu, sa prostate marque les heures…

A côté, Madeleine veille et ne dort pas beaucoup. Elle guette la respiration, les mouvements, les ronflements de Gérard.

En fin de visite, elle m’entraîne dans la cave pour me dégoter un pot de confiture qu’elle a faite. Et, pour faire bonne mesure, un pot des rillettes concoctées par Gérard.

Elle me dit ses nuits blanches : « Que voulez-vous ? Je sais bien que ça arrivera, à nos âges… Mais vous imaginez ! Si un jour il meurt à côté de moi dans le lit ? Qu’est-ce que je vais faire ? »

Et moi, qu’est ce que je pouvais lui dire ? « Allons, allons, que racontez-vous là ! Vous vous faites des idées. » ?

Eh bien, non. Il a 91 ans, il est cardiaque et, objectivement, statistiquement, il risque de mourir bientôt. Demain ? Dans un mois ? L’an prochain ou dans 10 ans ? Qui sait ? Mais on est plus près de la fin que du début, ça c’est sûr.

J’ai essayé de lui dire, à Madeleine, qu’on n’en savait rien. Qu’il n’avait pas de maladie grave qui pouvait laisser prévoir que ça tournerait vinaigre bientôt. Qu’ils pouvaient encore être ensemble pendant des années et que ce serait bien dommage de se gâcher le temps restant en se faisant tout ce souci.

N’empêche.

Je sais bien ce qu’on raconte. Que la mort fait partie de la vie, que c’est comme ça, que ça ne sert à rien d’être triste, et tout le tintouin.

N’empêche.

J’en ai déjà fait des certificats de décès, vu des familles en larmes, essayé de consoler des veufs, des veuves, des enfants. J’ai appris à garder de la distance avec ça, à me protéger.

N’empêche.

N’empêche que je sais bien que malgré tout ce qu’on dit, quand on se rend compte qu’il ne reste plus grand chose dans le sablier, pour ses proches encore plus que pour soi-même. Eh bien, on a la trouille.

Et ce sont bien mes propres angoisses qui se sont soulevées quand Madeleine m’a dit les siennes.

Que pouvais-je lui répondre ?