Koplik (signe de)

Il y a des mots comme ça, qu’on apprend bien comme il faut pendant ses années de fac de médecine, le temps de passer les examens. Et puis qu’on oublie.

Qu’on oublie parce qu’on ne les voit jamais en vrai.

Mais il reste toujours, au fin fond du cerveau, des petits restes. Des morceaux qui évoquent de vagues souvenirs que ravive parfois le Dr House mais qu’on ne sait plus vraiment à quoi rattacher ou ce que ça donne en vrai. Souvent ils portent des noms de vieux médecins, du siècle dernier ou de celui d’avant, avec barbe et lorgnon : « Signe de Koplik », « Signe de Brudzinski », « Tétralogie de Fallot », « Anneau de Kayser-Fleischer », « Granulome de Wegener », « Dyspnée de Küssmaul », « Signe d’Argyll-Robertson»…

Robin a 13 ans. Ses parents sont de vrais bobos intellos. Il est peintre, elle est professeur de piano. Très sympas au demeurant. Pas trop adeptes de médecine, un peu naturopathes mais pas exagérément et, bien sûr, pas du tout fans de vaccins. Le DTP parce que c’est obligatoire et ça suffira.

A eux aussi, j’ai fait mon couplet sur l’intérêt des vaccins. Bonne discussion, intéressante et interactive, tranquille, mais qui se concluait invariablement par un « On va y réfléchir. » Bon…

J’ai vu Robin la semaine dernière. Une bonne fièvre à 39°5, vraiment pas en forme, avec le nez qui coule, les yeux rouges et un tableau d’angine. J’ai fait mon strepto-test : négatif. Traitement symptomatique. Pas besoin d’antibios, ils étaient contents.

Et le lendemain ils m’ont rappelé « Il a des boutons ! ».

« Ha ! Ha ! » que je me dis. Treize ans, une angine, des boutons : à tous les coups c’est une mononucléose. Je leur ai demandé de me le ramener pour confirmation de mon super diagnostic.

En effet, il avait des plaques rouges sur le cou et le thorax. Qui ne grattaient pas. Je le réexamine comme il faut : rate non palpable, une auscultation normale, un drôle de petit granité blanc derrière les lèvres, pas de ganglions…

Le père de Robin me dit que, d’ailleurs, un copain de classe a été absent récemment à cause d’une mononucléose.

Je me dis : « T’es trop fort ! ».

Je leur dis : « Bon, ben voilà, c’est une mononucléose. Robin, tu vas sûrement, rester fatigué un petit moment mais ce n’est pas grave. Les boutons, ça se voit fréquemment dans cette maladie. La seule chose bizarre, c’est que je ne trouve pas de ganglions alors que, d’habitude, il y en a des gros, mais bon… »

Et au moment où je dis ça, Robin à une quinte de toux.

Et je m’arrête. Un flash.

« Euh… attendez un instant, je vérifie juste une chose. »

J’hésite un peu entre « Kolpik », « Koplik » et « Klopik », finis par taper « Koplik » dans Google image et je tombe sur ça :

Koplik (signe de)

Déf. : Il consiste en taches rouges dont le centre est occupé par un point blanc bleuâtre, arrondi, légèrement saillant et ne dépassant jamais 1 mm, apparaissant à la face interne des joues. C’est un signe pathognomonique de la rougeole.

(S’il y en a qui voient un aspect bleuâtre sur la photo, qu’ils m’écrivent. Merci)

Merci donc aux parents de Robin d’avoir pensé que la rougeole ce n’était pas si sérieux que ça et que la vaccination des autres protégerait indirectement leur fiston. Grâce à eux, j’ai vu une maladie que je croyais ne jamais rencontrer de ma carrière !

Pour rappel, quand même, la rougeole peut être une maladie grave. C’est la troisième cause de mortalité infantile en Afrique après le paludisme et les diarrhées (2 millions de morts par an).

Après avoir quasiment disparu d’Europe, l’épidémie redémarre. D’abord en Grande-Bretagne et à présent en France en raison de la baisse de la couverture vaccinale. C’est ballot parce que c’est une maladie que l’on pourrait éradiquer vu qu’il n’y a aucun réservoir en-dehors de l’être humain.

Sur ce, faut que je vous laisse, m’en vais réviser les symptômes de la peste, de la lèpre et de la variole…

24 réflexions sur « Koplik (signe de) »

  1. Jaddo

    Pas plus tard que la semaine dernière, devant je-ne-sais-plus-quel-revue-gratuite-médicale qui parlait de recrudescence de rougeole, jme disais justement que je serais bien infoutue de reconnaître une rougeole si on m’en brandissait une sous le nez…
    Merci pour le rappel sémio donc 😉

    Répondre
  2. docteursachs

    Vendredi soir, je fais mon intervention annuelle auprès des parents de la crèche dont je suis référent (ça fait classe, non, médecin référent de la crèche?). J’ai choisi pour thème « c’est quoi un vaccin? pourquoi ça marche mieux quand on vaccine tout le monde plutôt que de compter sur la vaccination des autres? »
    Je me suis fait aussi un petit rappel sur le monde fantastique de la diphtérie que tout le monde a oublié sauf les Russes qui en ont tout plein ces derniers temps, et qui ne sont pas si loin de nous…
    J’espère une soirée riche en question!

    Répondre
  3. Ultima

    Lancé à la recherche d’un lymphome, d’un Hodgkin, d’une tumeur parotidienne chez une fillette de 4 ans.
    C’est sa grand-mère qui m’a mis sur la voie : les oreillons.
    Jamais vu auparavant…la grand-mère, oui. Même l’échographiste s’est fait avoir.

    Le ridicule ne tue pas, j’ai testé pour vous.

    Répondre
  4. tchii

    Oui, belle leçon de sémio!

    Mais je dirais surtout merci à Robin de ne pas avoir fait une forme grave de rougeole! cf les décès et les notifications de l’INVS qui font que c’est à nouveau une maladie à déclaration obligatoire!…

    Moi ça m’énerve les parents qui comptent sur la vaccination des autres grr

    Et pour parler du ridicule qui ne tue pas: j’ai eu une petite avec la scarlatine cette semaine et IMPOSSIBLE de me souvenir du traitement prophylaxie et cie (petit frère de 10 mois). Et bien sûr, pas internet. D’où 2 coups de tél avant d’avoir confirmation de mon traitement…

    Faut encore bosser…

    Répondre
  5. Camille

    J’espère que les parents auront compris et que Robin ne sera plus malade…

    En plus je l’ai pas fait en sémio, donc là j’ai eu un mini-cours merci 🙂

    Répondre
  6. AER

    Oh, c’est drôle, on a justement eu un cours de microbio sur les paramyxoviridae, avec tout une page sur le signe de koplik aujourd’hui.

    Petite coincidence qui fait sourire.

    Répondre
  7. grange

    Souffrez qu’un médecin installé en 1979 dise ceci : le Koplick, on en voit quand on le cherche et même chez les vaccinés ; les oreillons, on en voit chez les vaccinés et on parle de parotidite non ourlienne (j’en vois au moins trois par an) ; c’est comme la sixième maladie ou exanthème subit qui est un « beau » diagnostic qui en « jette ».
    Dans les Yvelines nous avons une « recrudescence » de rougeole, 50 cas depuis le début de l’année, due essentiellement aux campements de « gens du voyage » et aux ultra catholiques qui s’en remettent à Dieu…
    La rougeole est redevenue maladie à déclaration obligatoire non parce qu’il y en aurait beaucoup mais parce qu’il y en avait très peu et que les médecins passaient à côté.
    Les scarlatines, on en voit aussi…
    Bon dimanche.

    Répondre
  8. Myriam

    bonsoir, excellent blog si si, j’adore.

    Je ne suis pas du domaine du médical, mais je suis étonnée par vos connaissances, votre endurance et vos motivations, là je parle des médecins en général.

    j’espère que vous n’allez pas m’en vouloir, si mes commentaires sont parfois peu clairs ou simples.

    Mais si cette enfant a la rougeole, il y a bien une « souche » enfin un autre enfant qui a la rougeole, non ?

    merci

    Répondre
    1. Borée Auteur de l’article

      Oui, oui : comme je l’indiquais dans le billet, la rougeole n’a aucun « réservoir » en-dehors de l’être humain. Elle ne peut se transmettre que d’homme à homme. Robin a donc bien été en contact avec un autre malade.

      On considère généralement que lorsque 95% de la population est immunisée (soit par le vaccin soit en ayant été en contact avec le germe) contre un microbe, il y a un effet de barrage et si par hasard une personne est atteinte, il y a suffisamment peu de chance qu’elle soit en contact avec une autre personne non immunisée et que le microbe circule.
      Dans la réalité, ce hasard se produit quand même de temps en temps. C’est pour ça que ces maladies ne disparaissent pas totalement mais c’est suffisamment rare pour que le microbe ne circule pas de manière « épidémique ». On n’a alors que quelques cas par ci, par là.
      Par contre, si le taux d’immunité diminue de trop, les chances qu’un malade transmette le germe à une autre personne non immunisée sont beaucoup plus importantes. Il peut alors y avoir un emballement dans la transmission du microbe et le développement d’une épidémie.
      C’est au début de ce phénomène que nous sommes en train d’assister en ce qui concerne la rougeole.

      Répondre
  9. Candice

    Merci cher confrère, moi aussi je viens de voir ma première rougeole aujourd’hui en garde, et je tenais à vous remercier parce que grâce à votre article il y a quelques jours, j’avais la sémiologie bien fraîche dans la tête ! Bon le hic c’est qu’en rentrant j’ai par acquit de conscience regardé mon carnet de santé, et qu’il y a toutes les chances que je ne sois pas immunisée … encore une histoire de cordonnier !
    Je me vaccine bien vite en espérant y échapper !
    Merci pour vos articles très bien écrits, ça change le regard qu’on porte aux patients, si on vit la relation médicale en imaginant avoir à la raconter ! Et bravo pour les illustrations (génial le faiseur de miracles!)
    Bonne suite de WE !

    Répondre
  10. Gélule

    L’un de mes maîtres de stage en a vu une il y a peu, il regrettait que je n’aie pas été là 😉
    Bon, moi après ton post je me dis que je ne suis pas la seule à chercher des trucs sur Google en pleine consultation!!!

    Répondre
  11. orthophoniste

    Heureusement qu’il y a les grand mères pour les diagnostics. Quand les miens ont eu la rougeole (trois d’un coup !!) le médecin était perplexe. Ma mère est arrivée pendant la consult à la maison, elle a regardé les enfants et a tout de suite reconnu la rougeole.
    Je précise que deux de mes enfants étaient vaccinés, pour le troisième on avait un peu trainé… Bonjour l’efficacité.

    Répondre
    1. Borée Auteur de l’article

      Je veux bien croire que la mémoire des grands-mères est très utile dans ce cas là !
      Une toute petite remarque sur le fond : peut-être vos enfants avaient-ils été vaccinés selon les anciens schémas qui n’assuraient, en effet, pas toujours une très bonne protection ? Le vaccin ROR (quelle que soit la marque) administré en 23 doses à 6 à 12 mois d’intervalle (pas davantage autant que possible) marche quand même très bien.

      Répondre
  12. Audrey

    « Le doute est le sel de l’esprit », Emile-Auguste Chartier.
    C’est beaux les certitudes sur les vaccins. Moi aussi j’en avais, je ne suis pas médecin mais juriste et surtout jeune maman. Mon fils aîné souffrait d’un déficit immunitaire transitoire quand il a été vacciné, nous avons vécu un cauchemar. Son systéme immununitaire a visiblement été altéré définitivement. Eczéma, kérato conjontivite, asthme et allergies, c’est super, un vrai bénéfice en terme de santé !

    On ne peut être que POUR la théorie vaccinale et ses présupposés mais ça n’empêche pas d’avoir une opinion nuançée, individualisée en fonction des patients. Je n’aborderai même pas la fameuse balance bénéfices/risques des vaccins puisque le professeur Debré a récemment brillament démontré dans un rapport sur l’état de la pharmacovigilance française que les experts sont loin d’être objectifs….pour moi ça fait longtemps que la balance bénéfices/risques me fait rire jaune.

    En conclusion c’est bien d’être formaté aveuglement par les études scientifiques des experts, encore faut-il être sur de leur validité. Malheureusement trop de vaccins intuiles pratiqués aveuglément en robot vaccinateur finiront par tuer les vaccins utiles. A bon entendeur…

    Répondre
  13. vincou

    merci pour votre blog, je suis moi aussi une jeune espece protégée.
    Je ne peux m’empecher de repondre au commentaire precedent; Mr Debré ne fait plus que de la politique « à sensation » depuis longtemps, en dehors d’émissions radios demagos. Je regrette beaucoup que votre enfant soit porteur d’un deficit immunitaire, mais soyez sûre d’une chôse malgré tout : la decouverte de la vaccinologie a sauvé plus de vie que la decouverte de la pénicilline. C’est juste un fait.
    Et je vous assure que nous faisons tout pour ne pas être des robots vaccinateurs.

    Répondre
  14. maxene

    Jeune installée, je n’avais jamais vu de rougeole… J’ai vu 4 cas depuis 3 mois! Et tous bien typiques, avec le koplick et tout et tout… Le dernier chez une jeune fille de 22 ans qui me disait l’avoir déjà eue, et qui a terminé à l’hôpital, et l’avant-dernier compliqué de pneumopathie. Pas vraiment une maladie bénigne, je trouve.

    Répondre
  15. Fab

    Avant tout, j’aime votre blog.

    Je suis donc un peu déçu de voir dans votre billet ressurgir la morgue et la condescendance qu’on enseigne avec la médecine : ce regard sur les bobos qui croient savoir et la démonstration de leur erreur et de votre savoir. Que voilà une jolie fable.

    La plèbe que vous croisez plus communément ne remet pas vos connaissances professionnelles en question, elle questionne votre référentiel social et vous vous y ouvrez.
    J’aimerai que vous utilisez encore l’esprit critique et le sérieux (cf l’article sur les yoyos par ex) qui transpire dans vos billets et que vous entendiez ce qui suit (et fassiez qq recherches personnelles (et non pas répéter ce que vous avez appris de façon pavlovienne)sur le sujet)

    La rougeole est une maladie grave : et l’argument massue c’est que c’est la troisième cause de décès en Afrique après.. le palud, et… les diarrhées.
    Donc on peut en mourir.

    Donc la diarrhées est une maladie grave ?
    peut-être même que la rougeole, tiens. 5 et ne ne sortez pas l’eceh, ça ne fait pas le poids au niveau statistique auquel vous vous référez)

    Je vous engage à vous informer sur les conséquences de la vaccination au niveau épidémiologique outre atlantique (ils ont là dessus plus de recul que nous et comme pour les yoyos plus de recherche/ quoique là rencore les intérêts des labos ne favorise pas la diffusion d’informations claires), etc.
    Merci.

    Donc

    Répondre
  16. Anna

    Fab : je ne suis pas médecin, donc sur la vaccination et la rougeole je laisse Borée répondre. Mais je voudrais quand même répondre à ce qui a l’air d’être une évidence pour vous : oui, la diarrhée peut être une maladie grave, y compris en France. Chez un sujet fragile (bébé, personne âgée), elle peut conduire à une déshydratation rapide qui, si elle n’est pas traitée à temps, peut entraîner un coma voire la mort. Ça vous va comme gravité ?

    Répondre
  17. petit pimousse

    Bonjour,
    Simple D4 j’ai eu l’occasion de faire l’année passé un stage en médecine infectieuse. Je n’avais jamais vu de rougeole. En lisant votre note (et surtout son titre) je savais de quoi cela allait parler : pas une seule journée de stage sans un patient atteint de rougeole dans le service. A la louche durée moyenne d’hospi = 4jours. jeunes adultes non vaccinés ou mal vacciné surtout. Et pas tres content de passer 4 jours dans le noir avec 40 quand ils n’étaient pas non plus dyspnéique ce qui n’était pas si rare. J’ai aussi eu la chance d’avoir un staff par une épidémio de l’invs je croit : stat assez effrayante et rassurante à la fois : l’incidence de la maladie est exactement superposable à la couverture vaccinale ou plutôt la non couverture. On est passé de 2 à 3000 cas par an à 6000 cas en janvier et fevrier 2011. L’OMS à retarder l’échance d’éradication de la rougeole. Bref la rougeole a de beaux jours devant elle.

    Merci pour ce blog et pour accueillir les externes ; j’ai eu la chance de faire un stage chez un généraliste, et j’ai rarement appris autant.

    Répondre
  18. Eldel

    Bonjour. Personellement je trouve qu on tarde a rendre les vaccins obligatoires. On compte sur le bon sens et la responsabilite de chacun mais c est insuffisant face a quelques ecrivains anti vaccinalistes grades qui comptent sur l ignorance de la majorite.

    Répondre
  19. Ping : Sirtin » Antibiotiques : ça ne marche pas contre les virus !

  20. pediatre

    Je me demande si en France, nous ne surmédicalisons par excès ? Je me demande si le corps ne doit pas apprendre à ce défendre ? Sans aller a l’extrème car le but est toujours de guérir mais est ce que cela ne nous fragilise pas trop?

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *