Briser les peurs

« Pourquoi avez-vous démarré un blog ? »

« Quel est l’intérêt pour le public de lire ce qui se passe dans nos cabinets ? »

« Il semble que ce que vous écriviez sur votre blog ne soit pas très déontologique : ce qu’il se passe durant une consultation doit rester confidentiel ou n’être raconté qu’entre initiés. »

Autant de questions ou remarques acerbes qui m’ont été adressées depuis deux ans.

Parmi les multiples bonheurs que m’offrent ce blog et le livre, il y a les échanges avec les lecteurs, que ce soit par le biais des commentaires publics ou bien par mails.

De ce point de vue, les dédicaces du livre auront été un festival de messages touchants, de beaux témoignages, de petits bonbons. C’est vrai, bien sûr, pour les rencontres en face à face, mais les échanges électroniques n’en sont pas moins intenses et je me refuse à leur appliquer le qualificatif de « virtuels ».

L’un de ces message m’a plus particulièrement ému, en même temps que je me sentais investi d’une responsabilité que je n’avais ni cherchée ni imaginée.

Bonjour Borée,

Je suis une lectrice silencieuse de votre blog depuis trois mois. Bien évidemment je ne pouvais laisser passer la sortie de votre livre sans m’y intéresser de près. J’ai donc commandé mon exemplaire et comme indiqué dans votre article du 7 Juin je vous copie colle le message de la zone de texte libre.

C’est un livre pour moi, pour me faire plaisir, parce que si je me fais soigner aujourd’hui c’est grâce à vous (si, si !). Je passe les détails scabreux, mais ça faisait deux ans que je savais que ça n’allait pas à l’intérieur de moi. Mais je suis une phobique des médecins, une vraie, une de celles qui hésitent à crever avant de passer la porte d’un cabinet. 

Je crois que j’ai atterri sur votre blog un jour via le blog de Fourrure et je vous ai lu, du début jusqu’à la fin. J’ai pensé que mon généraliste était peut être quelqu’un comme vous (en tout cas, vu où j’habite, c’est un médecin de campagne !) qui saurait comprendre ma peur et m’accueillir avec bienveillance. J’ai rassemblé tout mon courage, j’ai pris rendez vous et il s’est trouvé que j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un d’humain. 
Depuis j’ai passé moult examens, on m’a trouvé un problème hormonal et on va me soigner. 
Sans votre blog, j’en serai encore à me dire qu’un jour je devrai passer par dessus ma phobie.

Donc merci à vous, tout simplement. 

Je dois reconnaitre que les examens n’ont pas du tout arrangé ma peur des médecins, mais au moins les expériences que vous relatez sur votre blog m’ont donné le courage de faire face aux blouses blanches.
 
E. » 

S’il y avait une seule réponse à apporter aux questions et remarques que je mettais en introduction, la voici.

Au demeurant, ça ne concerne pas que mon blog et moi-même, ça concerne tous les autres blogueurs de la santé, souvent jeunes, qui forment aujourd’hui une réelle communauté.

Par nos blogs, par nos twitts, nous nous mettons sur la place publique. Inscrits dans la société, nous sommes parmi nos patients. Cette rupture avec une tradition de tour d’ivoire, de jargon et de colloques entre « docteurs » a de quoi étonner et déplaire.

En donnant à voir notre réalité, nos doutes, nos questionnements, parfois nos gentilles moqueries, nous contribuons à dissiper les peurs irraisonnées qui naissent de l’inconnu. Nous allons ainsi dans le sens d’une alliance thérapeutique équilibrée et éclairée.

Nous donnons aussi des outils de compréhension pour mieux affronter ce mastodonte qu’est le système de santé. Nos blogs médicaux participent à l’empowerment de nos lecteurs-patients (désolé pour l’anglicisme qui n’a pas réellement d’équivalent en français ). Tout comme le font d’autres blogs non médicaux dans divers domaines. Empowerment des surfeurs-citoyens.

Seuls les tenants des vieux ordres établis, avides du pouvoir que leur donnait l’ignorance de leurs patients peuvent regretter cette évolution.

Prenez garde Dr Moustaches, mandarins et autres Diafoirus ! Prenez garde car le web, le partage des connaissances et l’échange horizontal sont là et ils changent le monde. Prenez garde car nos blogs et nos twitts sont révolutionnaires !

16 réflexions sur « Briser les peurs »

  1. Gage

    Ce qui est amusant, c’est que sur le lien wikipédia que tu donnes, la première ligne contient un terme parfaitement français qui décrit exactement ce dont tu parles : autonomisation. Voilà pour l’anglicisme sans équivalent ;).

    Sinon, à part cette digression, je me reconnais parfaitement dans ce que tu dis. Le savoir médical, comme tout savoir, n’a pas vocation à être accaparé. Nous ne sommes pas des druides, ni des pythagoriciens ne dispensant notre savoir qu’à des initiés. Déjà parce que c’est devenu impensable à l’heure d’internet, et surtout parce que ça fait partie, à mon sens, de la relation de confiance. On ne peut pas attendre une relation de confiance de quelqu’un qu’on maintient volontairement dans l’ignorance. Du pouvoir, oui, et encore, mais pas de confiance. Je suis, pour ma part, incapable d’expliquer sa maladie à un patient autrement qu’avec un minimum d’explications physiopathologiques, et je ne m’attends pas à ce qu’il se traite si je ne lui en ai pas expliqué l’intérêt.

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  2. Orcrawn

    La révolution de la pensée médicale passera par les usagers. Ce sont eux qui incarnent le futur et c’est pour eux que nous nous battons.

    Félicitation pour ton livre 😀

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    1. Borée Auteur de l’article

      @ Gage
      L’anglais « empowerment » me semble aller bien au delà du français « autonomisation ». Mot à mot, il s’agit de « donner du pouvoir » et donc donner les moyens de se battre sur un pied d’égalité. Il me semble que cette notion dynamique n’apparaît pas dans l’autonomisation.

      @ Orcrawn
      Je ne suis pas d’accord.
      Je pense que, précisément, la révolution passe par le fait de cesser d’opposer les patients (ignorants / gentils) d’un côté et les médecins (sachants / maltraitants) de l’autre. Je ne souscris donc pas à l’expression « passer par les patients ». 🙂

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  3. Le bruit des sabots

    La révolution est en marche, celle du verbe, celle de l’information ; une révolution 2.0 qui met à plat les débats de santé publique pour libérer les droits du patient du joug de l’establishment médical (un anglicisme ? Diable !).
    La révolution du verbe et de l’information qui fait trembler ce bon Dr Knock, encore bien présent aujourd’hui dans les hôpitaux ou les campagnes françaises.

    Merci Borée.

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  4. chantal

    Ce message de la lectrice silencieuse est une belle preuve de ce que ressente beaucoup de gens devant le mileiu médical. La prise en charge d’un problème ne se résume point par des directives, mais surtout via la communication et le respect entre patient et médecin. Dommage que peu s’en souviennent ou veulent le comprendre (des deux cotés) et légiferer est inapproprie: aucun texte de loi ou de directive ne peut protèger les droits du patients et/ou du médecins si les deux ne s’entendent pas.

    Bravo à tous les blogs médicaux qui bougent les acquis bien plus qu’un texte.

    Bonne soirée

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  5. zigmund

    j’ai un seul reproche à faire aux blogs médicaux : c’est que je n’ai plus le temps de lire de « vrais » livres tant je suis à l’affut des écrits de mes confrères sur leurs blogs et sur twitter.
    j’aime bp les paragraphes de conclusion de ce billet qui remettent bien les choses en place.
    encore une chose quelques « vieux » médecins trainent aussi sur la toile se sont posés des questions sur leur pratique toute leur vie et bénissent la toile et twitter de leur avoir permis de partager doutes et questionnements et de sortir de l’isolement …cet échange avec mes confrères même hors de ma spé est une des choses les plus précieuses qui m’aient été données.

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  6. KingJu

    Si les blogs de médecins permettent ne serais-ce que d’améliorer la relation entre patient et médecin en désacralisant ce dernier, c’est déjà une belle victoire (pour canard).

    Sinon le message de ta lectrice est très touchant, ça donne envie d’exercer ce métier !

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  7. P.b.

    Je me reconnais un peu dans le témoignage de E., et si je peux apporter ma pierre à l’édifice, je dirais que pour ma part, la lecture de blogs médicaux m’a permis de désacraliser la place du médecin. Sans cela, il y a un peu plus d’un mois, je n’aurais jamais osé dire au chirurgien des urgences « je n’ai pas confiance en vous, vous me manquez de respect, vous ne m’opérerez pas », tout en signant une décharge. J’aurais sûrement été tétanisée, mais je me serais laissée faire. La suite m’a donné raison… alors merci à vous, et aux autres, qui nous « autorisez », à travers vos écrits, à réfléchir, sur notre place et nos droits en tant que patient…

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  8. Dominique Dupagne

    Si ce billet et ses commentaires n’existaient pas, il faudrait les inventer 🙂

    Tu montres qu’il faut raisonner en bénéfice/risque.

    Il y a peut-être eu des patients qui n’ont pas osé consulter ou parler de peur de retrouver leurs propos sur un billet de blog. Cela reste à prouver.

    Mais nous savons donc que ces blogs qui humanisent la médecine et les médecins aident de nombreux patients.

    Pas besoin d’essai randomisé, « les statistiques, c’est pour les losers » !

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  9. Ninoche

    Je rejoins certains avis ici. Il y a quelques années, aller chez mon généraliste était une corvée, et il n’était pas rare que je rouvre une vieille boite d’antibiotique pour tenter de faire passer les symptômes ressentis.
    Le médecin était encore ce grand puis de science, totalement inaccessible et terriblement effrayant.
    Je remarque qu’avec le temps, et la lecture de vos blogs, mon médecin me parait de moins en moins surhumain, de moins en moins fermé et inaccessible. Et quand c’est le cas, j’ose même poser des questions, moi qui autrefois répondais d’un tout petit oui/non aux questions posées.
    Alors merci Borée, Jaddo, Gélule et les autres, grâce à vous, je prends la main sur ma santé. Et ça fait du bien.

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  10. Catherine Cerisey

    Merci beaucoup pour ce post. En tant que e-patiente, , twitteuse et fervente lectrice des blogs médicaux (ceux des médecins mais aussi ceux, nombreux, de patients), je suis également persuadée, comme vous, que le paradigme vertical qui a regi pendant des siecles les rapports patient/medecin, voit son heure venir grâce au 2.0.
    Vous avez raison, cher Borée, c’est à deux que nous y arriverons. Chacun parcourant un bout du chemin … Puisque finalement nous n’avons qu’un seul but l’un et l’autre : la guérison.
    L’empowerment est effectivement une notion plus subtile que le sous entend le terme autonomisation.
    Le chemin qu’à ouvert Dominique, vite emprunté par d’autres, la présence des patients sur les réseaux sociaux et les blogs sont des débuts prometteurs.
    Si j’avais un souhait, c’est que les médecins et les patients puissent se croiser plus souvent, échanger, s’informer l’un l’autre. Le savoir patient, qui ne remettra jamais en cause le savoir scientifique est parfaitement complémentaire de ce dernier. L’information à double sens permettra aux deux de grandir et d’améliorer le parcours des malades.
    Merci encore pour ce billet qui fait avancer les choses … Incontestablement !
    Catherine

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  11. Pyj

    Bien dit. Empowerment. Empowerment des patients qui découvrent la face cachée des soignants, et des soignants qui découvrent les pensées secrètes de leurs collègues. Chaque article, chaque anecdote rapportée, comme une nouvelle pierre à l’édifice de la réflexion autour du soin, utilisable par tous, accessible à tous.
    C’est plein d’espoir, internet. Une noosphère à portée de souris. Continuons.

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  12. Faye

    Merci pour cet article. Je suis psychologue et je suis confrontée régulièrement (surtout sur les forums de psycho) à ce fameux: « mais il ne faut suuuuuuuuuuuuuuurtout pas parler de nos patients et des situations cliniques sur le net »

    Faut comprendre, les pauvres, si jamais ils connaissaient 2-3 trucs sur la psychologie, la structuration psychique, le développement psychomoteur de l’enfant et autres joyeusetés comme les troubles de l’humeur ou cette fameuse schizophrénie, et bien…

    Ils se porteraient un peu mieux?

    Je n’ai jamais compris cette volonté de garder notre savoir pour nous. Mais, c’est qu’à force de vous lire et de lire des blogs de collègues, de confrères, je vais finir par en ouvrir un malgré ma tout petite expérience!

    Merci 🙂

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  13. olive

    Il y a un avantage à ces blog pour une autre catégorie de personnes, celle à qui j’appartiens : les étudiants en médecine! je ne suis peut être qu’un petit « bébé médecin » comme disent les infirmières mais tout de même j’aime beaucoup à consulter ces blogs.
    Les blogs médicaux m’ont d’abord fait rêver à ce métier si complexe, si proche des gens et m’ont permis de mieux le cerner. (et ça aide beaucoup à avoir sa première année quand on sait pourquoi on travaille).
    En tout cas, pouvoir s’approcher un peu d’un milieu que l’on connais encore peu via les blogs médicaux est une bonne façon d’appréhender ce que l’on va vivre plus tard lors de nos premier pas. Cela m’a permis de mieux comprendre l’univers de l’hôpital lors de mon premier stage par exemple et de me défaire des apriori que j’avais sur la médecine générale.
    Alors merci! et bonne continuation!

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  14. marilor

    Evidemment que vous avez raison d’écrire… Je ne vous lis pas depuis longtemps, mais de vos posts transpire une belle humanité, de celle qu’on aimerait voir partout, et pas seulement dans les cabinets médicaux.
    Ca me fait penser que mon grand-père (1912-2006) généraliste puis pédiatre avait publié ses mémoires de médecin à compte d’auteur et sous un pseudo, de peur que ses patients se reconnaissent ! Pourtant, beaucoup étaient morts depuis longtemps, et personne n’était cité clairement évidemment, mais n’empêche, il n’avait pas osé et c’est dommage car son bouquin est magnifiquement bien écrit, si drôle, si triste, si humain… mais du coup il s’est peu vendu.
    Vous n’avez sans doute pas trop de temps pour lire, mais si vous voulez, je vous en envoie un exemplaire avec plaisir…

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