Biscottes

Je n’aurais pas dû m’occuper de Mimi.

Elle habitait un village bien trop éloigné de mon cabinet. Pas du tout mon secteur.

Je connaissais son neveu et il m’avait demandé de prendre le relais pour elle après une hospitalisation. Elle était veuve, n’avait pas d’enfants, elle était sous tutelle. Moi, j’étais installé depuis à peine un an, j’avais encore un peu de temps, j’ai dit oui.

Elle était suivie par un neurologue pour une soi-disant maladie d’Alzheimer. Il lui avait collé des médicaments inutiles et même dangereux pour sa grosse insuffisance cardiaque. Avec son diabète en plus, elle n’avait vraiment pas besoin de ça. J’avais commencé par faire du ménage.

Il faut admettre qu’elle n’avait plus toute sa tête depuis un moment. Encore suffisamment pour reconnaître ses proches, circuler dans sa maison, manger seule les repas préparés. Mais pas beaucoup plus. Quand j’arrivais chez elle, je la saluais :

— Bonjour Mme Mimi, vous savez qui je suis ?

Elle me regardait, me souriait, me répondait « Oui, bien sûr », me souriait encore. Puis ses yeux allaient vers ma sacoche, la scrutaient un instant.

— Ah ! Mais vous êtes le Docteur.

Sa chance c’est qu’elle n’a jamais été fugueuse. Elle ne bougeait pas de son intérieur, tentait rarement une rapide incursion dans son jardinet.

Petit à petit, les conditions de son maintien à domicile s’étaient organisées. Nous avions fait une réunion à mon cabinet avec la tutrice, l’infirmière du village, le neveu et un cousin. Chacun avait décidé de faire de son mieux. Et même un peu plus. Aucun de nous n’avait eu tant que ça à prendre sur soi : Mimi était aussi rigolote que gentille.

La télécommande de la télé avait été retirée et on avait vissé un cache en bois devant l’appareil ne laissant accessible que le bouton de marche : ça évitait qu’elle dérègle tout. Le gaz avait été coupé, une plaque à induction achetée. Comme elle était incapable de se modérer, le pain était planqué dans la cabane du jardin.

Nous avions tout de même fini par lui enlever la téléalarme : elle l’utilisait un peu n’importe comment et ça commençait à être rude pour l’entourage qui était régulièrement appelé en pleine nuit. Ils culpabilisaient de cette décision et j’en avais fait une prescription médicale. Il me semblait que Mimi gagnait davantage à conserver de la famille présente et aidante, et tant pis pour le risque de chute, plutôt que de les laisser s’épuiser et de n’avoir que la maison de retraite pour alternative.

Il y a un an et demi, Mimi était tombée, s’était ouvert le crâne et les pompiers l’avaient emmenée se faire recoudre aux Urgences sans que je sois au courant. Là-bas, une interne avait eu la présence d’esprit de m’appeler. Je lui avais expliqué la situation et dit qu’il serait sûrement préférable que Mimi rentre rapidement chez elle. Elle était d’accord.

Mais ils m’avaient rappelé une demi-heure plus tard pour me dire qu’elle paraissait trop instable et qu’ils allaient la garder dans un service.

— Bon, je ne l’ai pas sous les yeux. Si ça vous semble indispensable, d’accord. Mais le moins longtemps possible s’il vous plaît.

Et Mimi m’était sortie de l’esprit. Jusqu’à son retour chez elle un mois après. Grabataire.

Classique cercle vicieux : plus elle restait à l’hôpital, plus elle se dégradait. Plus elle déclinait, plus elle les inquiétait et plus on la gardait. Heureusement pour elle, elle avait une si petite retraite qu’une institution n’était guère envisageable. Provoquant la contrariété du confrère hospitalier, qui soulignait « qu’aucune autre solution n’avait été trouvée par la tutrice » et qui jugeait que le « retour à domicile serait difficile ».

De fait, Mimi ne se levait plus, elle restait clouée au lit avec des couches alors qu’elle allait toujours seule aux toilettes jusque-là.

Grosse panique de la famille et des infirmières qui ne savaient pas comment s’en sortir.

J’avais tâché de rassurer ceux que je voyais prêts à flancher, remotivé les infirmières et annoncé, sans trop y croire, qu’on se donnait un mois pour essayer d’inverser la tendance. Ils ont bien voulu tenter le coup. Le médecin-conseil a accepté qu’une ambulance emmène Mimi quatre fois par semaine jusque chez la kiné, à dix-huit kilomètres de là.

Trois semaines plus tard, elle remarchait avec son déambulateur. L’infirmière m’avait raconté en riant ses premiers pas. La gourmandise l’avait emporté : c’était pour s’emparer d’une boite à sucres oubliée sur le buffet de la cuisine que Mimi était repartie à la conquête de la station debout.

Encore un mois et je félicitais toute l’équipe dans le cahier de transmission pour être parvenus à retrouver la situation antérieure.

Depuis, je continuais à passer faire les renouvellements tous les deux mois. Parfois, l’infirmière me faisait venir pour un problème intercurrent, mais c’était rare.

Ce dimanche, lorsque j’ai allumé mon portable, j’avais un message qu’elle m’avait laissé deux heures plus tôt.

Mimi avait fait un malaise, les pompiers essayaient de la réanimer, si je voulais bien téléphoner, ce serait gentil.

Quand j’ai rappelé, l’infirmière m’a confirmé que c’était fini, que les secours avaient abandonné après quarante-cinq minutes de réanimation, mais que, de toute façon, personne n’y avait vraiment cru et que c’était mieux ainsi.

Elle m’avait raconté qu’elle était là quand Mimi allait prendre son petit-déjeuner. Elle était attablée, recomptait ses biscottes, comme d’habitude. Et, comme d’habitude, elle râlait qu’on ne lui en avait mis que trois. Et puis elle avait arrêté de compter « Je vais m’coucher. J’sais pas c’que j’ai, j’ai l’diable en moi. »

Et elle était tombée raide, le visage sur la table.

L’infirmière culpabilisait, elle se demandait si elle avait manqué un élément qui aurait pu changer les choses. J’étais également un peu mal à l’aise : j’avais renouvelé son traitement quelques jours plus tôt et n’avais rien remarqué d’anormal.

Et puis, finalement, nous nous sommes remémoré quelques bons moments, quelques anecdotes amusantes, nous avons ri un peu. Et convenu que ça devait bien arriver à son âge. Qu’après ce bel accompagnement pendant des années, Mimi avait eu droit à une sortie de scène aussi sympa qu’on pouvait l’espérer.

Sans vraiment avoir le temps de s’en rendre compte, elle était morte chez elle, sans douleur, pratiquement dans les bras de l’infirmière qu’elle connaissait bien et qu’elle aimait.

Le nez dans ses précieuses biscottes.

25 réflexions sur « Biscottes »

  1. Biaise

    Après une fracture du fémur (et non pas du col du fémur, car elle ne faisait jamais rien comme tout le monde) du à un dévalage des escaliers incontrôlé, ma mémé commençat sa rééducation avec une certaine mauvaise foi. C’est une envie subite de chocos Prince et de Kréma rangés dans le meuble télé qui la remit sur pieds.

    Après une autre chute soldée par une tête de boxeuse, nous l’avons inscrite à la maison de retraite, ce qui lui donnait le cafard. Nous étions cinq à venir la voir. Un jour nous avons trouvé un stock tout frais de bonbons Kréma dans son armoire. Nous nous consultâmes : cela ne venait d’aucun d’entre nous ( ça se coinçait dans son dentier…). Investigations… Super Mémé avait organisé un trafic de bonbec avec la complicité des infirmières, comme des prisoniers le feraient pour les clopes.
    Les friandises… Les vieux, c’est vraiment comme les bébés.

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  2. Docteur Seuss

    C’est le rêve de tout un chacun, sinon le mien, que de s’éteindre chez soi, entouré de ses proches, avec autant de simplicité.
    C’est une belle façon de conclure sa vie.

    Bravo pour cette prise en charge « globale et pluridisciplinaire », mais surtout, surtout humaine.

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  3. Anerick

    A la lecture de ce post, on s’attache un peu à mimi comme on s’attache à tant d’autres patients. C’est cruel ces séparations que nous impose le cours de la vie. Vous lui avez rendu hommage à votre façon.

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  4. Lily

    Joli hommage…
    Lorsque ma grand-mère vivait à la maison, j’avais pour consigne de l’encourager à se lever tous les jours.
    « Mémé, tu viens, je vais prendre mon goûter ?
    – Je suis trop fatiguée aujourd’hui…
    – Mais mémé, j’ai fait des crèpes aujourd’hui !
    – Alors j’arrive. Même si je suis trop fatiguée aujourd’hui. »
    La technique était imparable.

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  5. patricia jouve

    comme d’habitude vos post sont emouvants.c’est bien que cette dame est pu finir chez elle.en faisant ce qu’elle avait envie .trop souvent en maison la vie des pensoinnaires jusqu’a devenir grabataire , il faudrait laisser la nature.je me souviens quand je travaillais à l’hopital .des pesonnes qu’on ne bougeait pas car leur coeur était fatigué . personnellement je préfèrerais bouger , asta la vista

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  6. Laurent

    Bonsoir,

    tu l’auras aidé à tartiner plus longtemps sa biscotte aux fruits de la passion, c’est peut être peu…mais c’est aussi beaucoup.

    amicalement

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  7. Viobi

    Belle histoire.
    Je me souviens du jour où j’ai retrouvé une amie perdue de vue depuis trois ans. Je lui demande des nouvelles de sa mère, de sa grand-mère, et je n’ose pas aller plus loin. Elle me regarde en rigolant et me dit que l’arrière-grand-mère va très bien aussi, qu’à 97 ans elle vit toujours dans sa maison, toute seule, à trois bornes du village, qu’elle n’a toujours pas de femme de ménage parce qu’après elle ne retrouve pas ses affaires, et que non, elle ne va plus au village à vélo tous les jours faire ses courses, parce que le vélo, elle l’a cassé, et qu’à son âge, c’est idiot d’en racheter un, vu qu’elle n’aura pas le temps de le rentabiliser (feu le biclou avait 20 ans et quelques), alors elle y va à pied, en fin de matinée, quand elle a fini son ménage et son jardin. Un jour, à 98 ans, elle s’est sentie pas bien, pas assez bien pour faire son jardin, et a consulté. Bilan: métastases partout. Elle est morte dans son lit dix jours après.
    Ma question, docteur: où est-ce que je signe? 😉

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  8. Brunel

    Et oui, combien de fois l’hopital aggrave les choses, dans ces équilibres précaires. Et puis n’oublions pas que la mort est quelque chose de naturel… surtout lorsque l’on est agé

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  9. de l'Hamaide

    Merci pour ce beau récit.
    Mais pourquoi cette première phrase?
    Pour l’énergie dépensée, à rassembler et motiver tout le monde? Mais quel résultat!
    Pour la « culpabilité »? D’avoir réussi à accompagner une patiente chez elle jusqu’au bout????

    Merci aussi de continuer à nous partager tout ceci.

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    1. Borée Auteur de l’article

      Ah non ! Je me rends compte du risque de contre-sens.
      « Je n’aurais pas dû m’occuper de Mimi » … pour les raisons « matérielles » qui suivent. Manière de dire que c’est une rencontre qui n’aurait pas dû se faire logiquement. Mais je ne la regrette pas !

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  10. Jade

    Je ne commente presque jamais , mais ce billet m’a particulièrement touché , mon arrière grand mère n’a pas eu la chance de mimi , elle avait aussi une forme de sénilité ( excusez moi pour mes mots de profane) et elle a finit ses jours dans une maison de retraite … pas un truc sordide mais tout de même loin de chez elle , loin de sa famille … une maison de retraite qui m’avait serré le coeur … Je suis du même avis que Docteur Seuss , c’est ce genre de fin que je souhaite … pour moi les maison de retraite ( et peut être à tort) sont des mouroirs …

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  11. Emmanuelle Mignaton

    Une très belle histoire parce qu’elle est morte chez elle, dignement.
    Et grâce à vous en grande partie. Vous pouvez être fier.

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  12. Ambroisia

    Jolie histoire qui réchauffe le coeur …

    Ca fait un moment que je suis ce blog – je ne sais plus si j’ai déjà commenté d’ailleurs – j’aime beaucoup vos récits, simples, touchants, et qui donne un bel aperçu de la médecine générale.

    Il faudrait faire lire ce blog aux jeunes étudiants en médecine (dont je fais partie), ça aiderait à se défocaliser de l’hôpital, et voir qu’il y a d’autres façons de pratiquer la médecine (heureusement, d’ailleurs !)

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  13. Luis

    Bonjour !
    Merci pour cette belle histoire. On peut en effet plutot se réjouir que ça se soit terminé ainsi. J’avoue qu’à un moment du récit j’ai vraiment pris peur, à « les pompiers essayaient de la réanimer »…
    Voilà, je me dis… pourquoi ?? Pourquoi réanimer une pauvre petite dame (que j’imagine agée) sous tutelle ? Qu’est ce qu’on aurait pu y gagner ?? Un séjour en Réa avec un tube dans la trachée ? L’absence probable de réveil après des jours à l’hopital, ou des séquelles irréversibles qui rendraient le peu de temps qu’elle resterait encore en vie un calvaire ?
    Je ne suis qu’un petit interne, et je ne peux certainement pas saisir toutes les facettes du problème, mais après 6 mois en Réa Méd et des dizaines de situations douloureuses, j’ai du mal à me faire au fait qu’on puisse réanimer une patiente telle qu’elle est décrite, aussi attachante soit-elle, et surtout, surtout, en croyant le faire pour son propre bien.

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    1. Borée Auteur de l’article

      @ Luis
      C’est un peu compliqué. Les pompiers qui arrivent sur un « malaise » et qui trouvent quelqu’un en arrêt cardio-respiratoire ne peuvent rien faire d’autre que d’entamer des démarches de réanimation minimales (massage, ventilation) : ils ne connaissent généralement pas le patient, pas le contexte, pas les volontés de la famille et de la personne elle-même.
      Ils ne peuvent de toute façon rien faire d’invasif eux-mêmes et il appartient au médecin (médecin traitant, médecin de garde, SMUR, régulateur) de décider de ne pas pousser plus loin quand ça ne semble pas raisonnable. Mais il faut généralement quelques (dizaines de) minutes pour évaluer la situation et prendre cette décision.
      On ne peut pas demander à des pompiers qui arrivent les premiers sur les lieux de prendre ça sur eux.

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  14. Emmanuelle Mignaton

    Borée,
    Je comprends bien pour les pompiers. Ma grand-mère a été réanimée par eux, chez elle, un peu dans les mêmes circonstances.
    Malheureusement, elle, elle a survécu 1 semaine à l’hôpital, avant de faire un arrêt cardiaque (enfin, raison officielle de la mort…la vérité, je ne la saurai jamais). Cette semaine fut un enfer,tous les jours, elle me disait d’arrêter toute cette souffrance, qu’on la laisse partir. Car elle parlait. Elle m’a même écrit un mot la vielle de sa mort…Seulement, les médecins s’acharnaient, elle n’avait « que » 85 ans et sa mère était morte à plus de 100 ans. Déjà que je n’aimais pas beaucoup les hôpitaux, pour des raisons personnelles, pour mon propre corps, mais bon, j’ai 48 ans aujourd’hui, les médecins ont eu raison de s’acharner. Pour ma grand mère non, et 10 ans après, il m’arrive encore de pleurer, souvent , au moins tous les mois, sur ce qu’on lui a fait subir avant de partir.
    Qu’on écoute les personnes quand elles vous disent d’arrêter bon sang.
    Et que tout le monde lise le livre de Martin Winckler « En souvenir d’André ». Tout le monde!

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  15. Luis

    En fait, je comprends la démarche des pompiers… J’avais cru comprendre que l’infirmière était sur place mais de toutes façons, ça ne changeait rien, elle aussi n’aurait pas pu prendre la responsabilité de dire d’arreter…
    Je me suis mal exprimé, parce que ce n’est pas contre les pompiers ou l’infirmière que je rale, c’est contre le fait qu’il y a encore des personnes de plus de 85ans ramenées à l’hopital après un arret cardiaque et une réanimation « réussie »… et tu as raison, c’est compliqué, mais ça pose vraiment de gros problèmes.
    Comme je fais le DESC de médecine d’urgence, j’ai aussi passé 6 mois de stage au SMUR de ChuVille, où l’interne sort seul avec l’équipe (donc un infirmier et un ambulancier), et se retrouve à devoir parfois dire « bon, on arrete là ». Je l’ai détesté, et c’est compliqué… mais mince, 45min de réanimation !
    Après, et cette histoire en est un excellent exemple, on se doit de soigner et d’accompagner tout le monde, et sans baisser les bras sous prétexte de l’age (ou encore de la maladie d’Alzheimer… pour ceux qui ont regardé France 5 ce soir !)

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  16. Emmanuelle Mignaton

    J’espère que tous les internes sont des « Luis », mais vu ceux rencontrés récemment, j’en doute…Enfin, rêvons qu’ils soient de plus en plus nombreux déjà.

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  17. Helene

    Une histoire touchante. Comme ‘de l’Hamaide’, j’ai trouve que la premiere phrase prete a confusion, comme si vous regrettiez de vous etre occupe de Mimi!
    En Grande Bretagne, il y a peu ou pas de ‘medecins de famille’ comme en France. Du coup, ce sont souvent les conseillers financiers (individual financial advisers; financial planners) qui les remplacent: ils rencontrent leurs clients regulierement, developpent une relation de confiance (quasi de confesseur) avec eux, et les clients leur deballent tout ce qu’ils ont sur le coeur, meme si ca n’a rien a voir avec leurs investissements. Recemment, l’un de nos clients a appris le divorce de son fils: son premier reflexe a ete de nous appeler afin de prendre rendez-vous, pour faire le point!
    Comme beaucoup de nos clients sont ages, voire tres ages (meme probleme qu’en France, le patrimoine est detenu en majorite par des gens qui sont nes avant la guerre ou juste apres), nous en avons plusieurs qui, comme Mimi, perdent la tete. Ce sont plus souvent des femmes que des hommes: les hommes se retrouvent plus souvent grabataires en maison de retraite (Alzheimer, multiples infarctus/accidents vasculaires cerebraux, allie a insuffisance renale severe, double incontinence etc.), et ils vivent aussi moins longtemps (l’un de nos clients est decede d’un cancer de l’estomac metastase a 67 ans, 2 ans apres avoir pris sa retraite, 1 an apres avoir enfin eu un diagnostic… et plusieurs annees apres l’apparition de symptomes que ses medecins mettaient sur le compte du ‘stress’): dans ce cas, nous voyons, soit leurs conjoints, soit leurs enfants. Evidemment, les petits vieux qui ne sont pas riches n’ont pas de conseillers financiers: pour eux c’est la solitude, et le mouroir pour vieux s’ils ont le malade de devenir grabataires ou de developper un Alzheimer.
    L’une de nos petites mamies est octagenaire et vit encore de facon independante (elle conduit meme sa voiture). Elle a une femme de menage qui vient la voir plusieurs fois par semaine, et nous lui telephonons tous les 15 jours et lui rendons visite toutes les 6 semaines, et avons aussi les coordonnees de sa famille (qui habite loin) pour les contacter en cas d’urgence. Normalement, nous voyons nos clients jusqu’a 4 fois par an, et c’est facture £2,500 plus une commission a chaque fois qu’ils achetent un produit par notre intermediaire. Notre mamie, je ne sais pas combien on lui facture les visites, mais ca doit revenir assez cher. Enfin, elle a les moyens, meme si ce n’est pas Ingrid de Bettencourt. Jusqu’en 2009, nous ne la voyions que 4 fois par an, et elle s’occupait de ses investissements elle-meme, lisait et classait son courrier, renvoyait des formulaires quand c’etait necessaire etc. Elle a du faire de legers accidents vasculaires cerebraux et il y a eu une subite degradation: elle a commence a annoter son courrier de points d’interrogation, et a commence a entasser les lettres sans les classer ni sans y repondre. Vers cette epoque, elle s’est aussi pas mal fait entuber par sa succursale bancaire, et par plusieurs ‘caisses d’epargne’ (building societies): ils lui ont vendu des investissements peu rentables. Une heure de causette et de sourires facturee £14,000 c’est un peu cher, surtout quand on repete ca une dizaine de fois en 3 mois! L’un de ces investissements est arrive a maturite il y a plusieurs mois, et je ne sais toujours pas ce qu’est devenu l’argent! Soit elle l’a depense, soit ils lui ont fait signer un papier pour le reinvestir quelque part et elle a perdu le contrat, soit ils lui ont envoye un cheque et elle l’a perdu! Au telephone, ils commencent toujours par essayer de me convaincre qu’ils n’ont pas enregistre les instructions de notre cliente les autorisant a communiquer avec nous, puis m’affirment qu’ils ne peuvent rien me dire au telephone et qu’ils vont m’ecrire! Enfin, elle a encore plusieurs millions, donc ce n’est pas comme si elle risquait de se retrouver a la rue… Quand il lui rend visite, notre consultant se retrouve parfois ’embauche’ pour faire du bricolage: par exemple, une fois, il a passe une heure a reparer une de ses chaises qui etait bancale! Le gros avantage des clients comme ca, c’est que ca ne les derange pas d’avoir des consultants ages ou malades: ils n’ont pas le culte de la jeunesse et de la sante a tout prix. Notre consultant a passe tout le mois dernier a se bagarrer contre son dentiste, une dent de sagesse qui essayait de percer, et un absces dentaire cause par la dent de sagesse. Il a fini par passer une semaine chez lui, avant et apres l’arrachage de la dent, car il avait trop mal pour venir au bureau ou aller en rv exterieurs. Lorsqu’il est alle mieux (il avait toujours beaucoup de mal a parler, et encore plus a manger), son premier rv a ete pour cette petite vieille dame, qui a ete aux petits soins pour lui!
    J’ai du recemment selectionner une liste de maisons de retraite pour une autre de nos clients, qui est nonagenaire, a toute sa tete, mais est de plus en plus frele et n’a pas les moyens de se payer une garde a domicile 24/24 7/7. Elle a deja une ‘auxiliaire de vie’ qui s’occupe d’elle une trentaine d’heures par semaine, mais ce n’est pas donne. Sur la douzaine de maisons de retraite que j’ai appelees (elle voulait rester dans la ville ou elle habite), seules 2 valaient le deplacement. Dans les 2 cas, ils acceptaient les visites non annoncees (ma question piege: ‘faut-il prendre rv pour visiter?’). Le champion hors toutes categories m’a meme immediatement repondu: ‘ah non, au contraire, nous demandons toujours aux clients de venir non annonces, afin qu’ils voient que nous n’avons rien a cacher’. La majorite des maisons de retraite hebergaient des personnes souffrant d’Alzheimer (lors de l’un de mes appels, la directrice a meme du aller se lever pour fermer la porte de son bureau, il y a vait une cacophonie abominable dans le couloir), dont de nombreux grabataires incontinents etc. Pas du tout un environnement pour une vieille dame qui peut encore lire, ecrire, aller faire les courses etc. 3 ou 4 des maisons de retraite que j’ai appelees m’ont aussi fait une tres mauvaise impression: ils avaient l’air de privilegier les personnes dont l’etat de chance risque de se degrader rapidement, afin de pouvoir augmenter leurs frais de sejour.
    J’espere que nos deux vieilles dames (et quelques autres que je connais moins bien) auront la chance de mourir soudainement comme Mimi, dans leur lit, ou en vaquant a leurs occupations, et pas ‘au terme d’une longue maladie’. Mes grand-parents paternels sont morts a 94 et 97 ans: mon grand-pere d’une crise cardiaque alors qu’il se rasait, et ma grand-mere d’une crise cardiaque pendant son sommeil (la veille elle s’occupait de ses rosiers). Vu leur age, ils employaient quelqu’un pour faire le menage et leur preparer leurs repas, mais sinon ils etaient independants: ils pouvaient meme aller a pied au village (1 kilometre) s’ils voulaient passer a la boulangerie, aller a la messe ou au cimetiere, rendre visite a des amis…
    En revanche, ma grand-mere maternelle a ete ‘hospitalisee’ par ma mere et sa soeur chez ma tante, contre son gre, apres un tout petit AVC (juste une petite amnesie, pas de troubles du langage etc.): ma mere a saisi cette opportunite pour separer ma grand-mere de son compagnon depuis 50 ans, qu’elle haissait. Comme ma grand-mere pouvait se lever, elles lui ont fait prescrire des neuroleptiques par un medecin generaliste complaisant. Et a chaque fois que ma grand-mere disait qu’elle voulait rentrer chez elle, elles lui disaient: ‘mais tu es chez toi! tu ne reconnais pas ta maison? tu vois bien que tu perds la tete?’ et quand ma grand-mere demandait: ‘alors ou est D?’ (son compagnon, qui aurait pu tres bien s’occuper d’elle vu qu’il etait 12 ans plus jeune et en bonne sante), elles repondaient ‘mais il etait la a l’instant, il est sorti acheter le journal’. Evidemment, avec les neuroleptiques, ca n’a pas traine: en 1 mois, ma grand-mere s’est retrouvee incapable de se lever, avec des problemes urinaires (sonde…), puis des escarres, une fonte musculaire spectaculaire… En quelques mois, Catherine Deneuve est devenue Isabelle Caro… et 4 mois apres l’intervention de ma mere et ma tante, elle est morte, sans avoir revu son compagnon, a qui elles ont meme refuse d’assister a son enterrement…
    @ Blaise: dans la petite ville ou j’habite, il y a un magasin de bonbons a l’ancienne: les etageres sont chargees de bocaux, remplis de bonbons divers et varies. Quand je me suis installee la, je me suis dit qu’avec un ‘concept’ si demode, la boutique etait sure de faire faillite. Pendant un an, j’ai vu les boutiques alentours faire faillite (y compris le marchand de fruits et legumes), mais pas celle-la. En prenant des jours de conge pendant la semaine, j’ai finalement compris: la majorite des clients de la boutique sont des petits vieux. Une fois par semaine, ils touchent leur retraite au bureau de poste, puis ils passent a la boutique s’offrir un sachet de bonbons, comme dans leur enfance! Comme nous avons une population agee, les affaires marchent bien 🙂 Dommage tout de meme pour le marchand de fruits et legumes 🙁

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  18. Jade

    Mon dieu qu’elle histoire horrible pour votre grand mère … à la lecture de ses lignes , je n’ai pu retenir d’écrire ce commentaire , je suis vraiment désolée pour son compagnon , pour vous et surtout pour elle

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  19. Peppermint

    Pu***n! Triste mais tellement poétique ce récit.
    Doc, franchement je vous kiffe, vous êtes le médecin dont tout le monde rêve, vous croyez que je fais un transfert (très positif) sur vous?! Mais bien sur que je transfère et j’adore ça même!

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  20. Priscille

    On se doute de la fin, même si on ne l’éspére pas, en lisant ce texte, magnifiquement écrit… J’avoue j’ai pleuré à la fin.. Mon pére est médecin et j’ai était sa secrétaire remplacante pendant plusieurs années. J’adorais les personnes âgées qui venaient prendre le café le matin avant leur consultation, pour discuter, pour rigoler. Ceux qui faisaient exprés d’oublier leur ordonnance juste parce qu’ils ne voulaient pas retourner chez eux… Où ils sont seul… Et qui refont le même coup la semaine d’aprés… Si attachant… Maintenat j’habite en ville et les gens dans la salle d’attente on les yeux baissés, la secrétaire lit son magasine en attendant que le téléphone sonne.. Et ça me rend triste.
    J’adorais l’odeur du café et madame machin qui avait fait une tarte, madame truc qui ramené les gateaux, parce que finallement, 30% de leur guérisson passaient dans l’écoute….
    Triste de lire que vous partait vers la ville, même si c’est compréhensible, connaissant la situation, mais ne devenait pas un médecin  » 10 min par patient, rentabilité » gardait votre côté humain qu’on aime tant lire…
    Bone continuation et bon déménagement.

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