Archives mensuelles : décembre 2010

Inexium. Avec un ‘x’ comme multiplier.

Dans un commentaire du billet « Cher ami hospitalier », Erwan écrivait :

« Je voudrais comprendre pourquoi, sur quelles obscures recommandations, sur quelle étude en double aveugle sur échantillon représentatif, à quelle sourate du coran ils se réfèrent pour faire ressortir tous mes patients traités par IPP et hospitalisés munis d’une ordonnance d’inexium…
Aux chiottes les lanzo, omé et autres panto ! Au pinacle l’ésomé (certains prennent bizarrement la peine de le prescrire en DCI…hypocrisie ?).
Et moi pauvre capiste qui doit repasser derrière pour tout remettre en état et expliquer aux patients mon refus systématique (et antérieur au capi) de prescrire cette molécule.
On me dit que l’hôpital a un contrat avec le labo et que le seul IPP disponible chez eux est celui là.
Certes, je peux comprendre que dans un but louable d’économies, et par un habile mais obscur système d’échanges le pharmacien ait fait ce choix.
Mais pourquoi diable donc les médecins l’entérinent ils ?
Par flemme ?
Non…impossible… » (*)

Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble que ce commentaire est en-deça de la réalité. Ce ne sont pas seulement les « patients traités par IPP » qui reviennent avec de l’Inexium, ce sont presque systématiquement TOUS les patients.

L’explication est en fait assez simple et pas si obscure que ça.

Le médicament à l’hôpital ne suit pas du tout les mêmes règles qu’en ville. Depuis 1987, son prix n’est plus réglementé (il existe simplement, depuis 2004, un encadrement pour les traitements « coûteux »). Le pharmacien hospitalier lance des appels d’offres pour acquérir les produits dont il a besoin au niveau de son établissement.

Généralement, il va référencer une, voire deux, substance par classe. Il n’est pas nécessaire d’avoir tous les IEC sous la main mais seulement un ou deux puisqu’ils sont assez largement interchangeables. Idem pour les macrolides, les ARA2 et… les IPP.

Le pharmacien hospitalier lance donc un appel d’offres du type « Qui me fait le meilleur prix pour 1 000 boîtes d’IPP pleine dose ??? »

M. Astrazeneca répond un truc du genre : « 1 000 boîtes ? Pas de problème ! Je vous offre 1 000 boîtes d’Inexium. Non, non, non, ne dites rien, ça me fait plaisir. C’est pour moi. Et puis, c’est Noël ! »

Le pharmacien hospitalier se dit alors quelque chose comme : « 1 000 boîtes gratuites ! Oo Chic alors, la bonne affaire que voilà ! Avec toutes ces économies, je vais peut-être pouvoir payer les trithérapies et les chimios qui me coûtent un max (et qui ne sont pas, elles, interchangeables). »

Le médecin de l’hôpital, lorsqu’il y a besoin d’un IPP note donc « Inexium » puisque c’est le seul qu’il a sous la main et que, en effet, c’est aussi efficace.

Lors de la sortie, c’est bien souvent l’interne qui rédige la prescription et qui va généralement recopier sur l’ordonnance le traitement qui était celui donné durant le séjour :

  • Parce que, en effet, ça peut être pénible et compliqué, de retrouver le traitement d’avant et que « c’est pareil ». Le terme de « flemme » qu’utilise Erwan me semble donc juste mais un poil excessif.
  • Parce que dans la logique d’un interne (et de beaucoup de médecins généralistes), le traitement donné lors de l’hospitalisation est forcément le meilleur possible, celui qu’on a soigneusement et laborieusement optimisé (et c’est en grande partie vrai) et qu’il est donc parfaitement raisonnable de le poursuivre lors de la sortie.

Comme beaucoup de généralistes n’osent pas modifier un traitement mis au point à l’hôpital par peur (« S’il arrive quelque chose et que j’ai changé le traitement, on me le mettra sur le dos. ») ou par manque de temps/de courage (changer une prescription hospitalière nécessite un vrai travail d’explication et de conviction), ils maintiennent l’Inexium. Pendant des années.

Et M. Astrazeneca, qui est bien plus malin que philanthrope, se dit qu’il a bien eu raison d’offrir ces 1 000 boîtes puisqu’elles vont finalement générer la vente de 10 000 autres boîtes en ville. Payées au prix fort.

Ceci marche aussi, par exemple, en remplaçant « Inexium » par « Coversyl » et « M. Astrazeneca » par « M. Servier ».

Pour moi, le vrai mystère est ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi les patients hospitalisés sont presque systématiquement mis sous IPP. J’imagine qu’il doit y avoir une sorte de terreur de « l’ulcère de stress » qui me semble relever plus du loup-garou que d’une démarche scientifiquement validée (si quelqu’un connait des études, je suis preneur).

Alors, oui, c’est vraiment pénible mais il faut reconnaître qu’avec le fonctionnement actuel c’est assez imparable. Il nous reste surtout à espérer que les hospitaliers soient un peu plus vigilants sur la question de l’optimisation des coûts de leurs prescriptions (à qualité égale, autant prendre le moins cher) ce qui n’est pas du tout dans leur culture.

Surtout, ils devraient prendre l’habitude de se poser la question lors des sorties d’hospitalisation : « Bon… ce médicament qu’il avait durant son séjour à l’hôpital, est-il encore nécessaire à domicile ? »

Parce qu’au-delà de l’Inexium, énervant mais sans gravité, ça éviterait aussi quelques conneries avec les somnifères chez les patients âgés. Et, là, c’est vraiment un problème médical.

Quant aux généralistes, ils devraient être un peu plus confiants en eux-même : les prescriptions hospitalières ne sont pas forcément parole d’Evangile et on a le droit de les modifier si on a de bonnes raisons de le faire.

(*) Pour les non médecins : les IPP sont les Inhibiteurs de la Pompe à Proton. Il s’agit d’une famille de médicaments qui existe depuis une vingtaine d’années et qui a révolutionné la prise en charge de certains problèmes gastriques (ulcères, reflux gastrique, …) car ils sont remarquablement efficaces et globalement très bien tolérés.
Leur vrai nom se termine en ‘prazole’ : oméprazole, pantoprazole, rabéprazole, etc…
Pour contrecarrer la perte du brevet du Mopral© (oméprazole), les laboratoires Astra Zeneca nous ont sorti un coup de boneteau en 2000 (avec la bénédiction des autorités du médicament) l’Inexium© (ésoméprazole) qui n’est jamais rien d’autre qu’une variante chimique de l’oméprazole. Ceci mériterait un billet en soi.

Soir de garde

Un soir, de garde. Le téléphone sonne vers vingt-trois heures.

— Bonjour, ici la régulation du 15. Pouvez-vous voir une dame de quatre-vingt-sept ans qui a fait un malaise et qui se sent oppressée ?

— Groumpf ! Ok, eh bien, j’y vais.

Douze kilomètres de voiture plus tard, j’arrive devant la maison. Le mari m’attend à la porte-fenêtre.

Son épouse est sur le canapé. Elle fait bien quinze ans de moins que son âge.

— Bonsoir ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— J’ai fait un malaise. Je suis tombée d’un seul coup, plus rien ne me tenait, mais je n’ai pas perdu connaissance…

Lui : Elle est tombée comme ça, ici. J’ai essayé de la rattraper, mais je n’avais pas assez de force.

— Bon, d’accord. Et, là, vous vous sentez comment ?

— Un peu oppressée dans la poitrine. Mais ça va mieux.

Lui : C’est arrivé il y a déjà une heure. On ne savait pas quoi faire. Comme elle trouvait que son cœur battait vite, elle a pris un Atarax que lui prescrit le Dr Moustache.

J’examine la dame, je lui fais un électrocardiogramme. Je me félicite qu’il y ait un ancien tracé à la maison pour vérifier si les anomalies que je trouve y étaient déjà. Oui, bon.

— Vous avez combien de tension d’habitude ? Parce que là vous avez 20 sur 9…

— Le Dr Moustache me dit tout le temps qu’elle est normale. Mais il faut que je vous avoue : il y a six mois, le cardiologue a voulu me changer le traitement. Mais j’avais peur que ça augmente les diarrhées que j’ai toujours. Du coup j’ai arrêté le médicament qu’il me disait, mais je n’ai pas pris le nouveau qui…

Lui : Il faut que tu lui expliques tout ! Alors, voilà, il y a trois ans, elle a vu le cardiologue, qui lui a prescrit un médicament qui…

— Bon, d’accord, mais on va rester sur l’urgence, là, si vous voulez bien. Madame : vous avez un peu d’eau dans les poumons et les jambes gonflées, je pense que vous faites une petite poussée d’insuffisance cardiaque. Et de toute manière, un malaise comme vous avez fait, ce n’est peut-être rien de méchant, mais il faut le prendre comme un signal d’alerte. Je vous envoie à l’hôpital.

Lui : En cardiologie ?

— Probablement en cardiologie, mais elle va d’abord transiter par les Urgences pour voir un peu mieux ce qu’il se passe.

— Ah non ! les Urgences, j’y étais il y a deux ans pour mon infarctus. J’y ai traîné trois jours. Avec des lumières, du bruit, partout. S’il m’arrivait de nouveau quelque chose, je préfère crever à la maison que d’aller aux Urgences.

— Oui, mais, là, c’est pour votre épouse.

Elle : C’est vrai que tu ne me remontes pas beaucoup le moral.

Lui : Et ça ne peut pas attendre demain matin ? … Comment je vais faire, moi, à quatre-vingt-sept ans ?!

— Non, ça ne serait pas raisonnable de la laisser ici jusqu’à demain matin.

Dans l’attente de l’ambulance, la consultation s’est poursuivie de la même manière.

Elle qui essayait de ne pas paniquer, mais que je voyais fébrile.

Et lui qui parlait. Beaucoup. Dur, presque dans l’agressivité. Et qui ne parlait que de lui.

L’ambulance est arrivée. Ils ont pris la dame en charge.

Au moment de sortir de la maison, je les ai aperçus s’embrasser. Il avait les yeux rouges et ses larmes coulaient.

Et j’ai mieux compris. Ce n’était probablement pas un homme égoïste et dur. C’était simplement un homme qui avait la trouille.

Venez donc avec !

(Je ne mets pas que des infirmières blondes et légèrement vêtues.)

Lorsque j’ai choisi de fuir la ville pour m’installer au vert, je me suis demandé comment ça allait se passer.

Comment « ça » allait passer.

J’étais venu reconnaître le terrain avant de sauter le pas. Dix jours plus tard, nous y étions retournés en couple pour prendre la décision à deux.

En nous promenant dans le village, nous avions croisé le maire.

— Bonjour M. le Maire !

— Ah ! Bonjour Dr Borée, vous allez bien ? Content de vous revoir !

Il me serre vigoureusement la main puis tend la sienne à mon ami. « Ah, voilà, je vous présente mon ami. »

Il y eut une seconde d’arrêt. Et j’ai imaginé les réflexions dans la tête de notre brave édile rural… « Son ami ? Eh bien ! Voilà autre chose. Mais, bon, un an qu’on n’a plus de toubib dans le village et que les électeurs me tannent avec ça. J’en ai trouvé un, je ne le lâche pas. Tant pis, on gérera. »

La seconde de réflexion passée, grand sourire et poignée de main énergique « Eh bien, soyez le bienvenu ! »

Nous nous sommes donc installés dans le village et, ma foi, ça ne s’est pas mal passé. Les petits vieux des environs nous portaient leurs légumes et discutaient du beau temps. Régulièrement, mon ami allait récupérer notre chat chez la voisine.

Je savais bien que d’autres faisaient entendre des sons de cloche différents. J’en avais parfois quelques échos. Le Dr Moustache n’a pas pu s’empêcher de baver un peu et on me le rapportait. N’empêche que quand j’étais de garde et qu’ils avaient besoin d’un médecin, il n’y en a jamais eu pour faire les difficiles. Même l’équipe de rugby n’a pas rechigné : bien contents d’avoir quelqu’un pour leur faire les licences avant les entraînements.

Pour moi, l’affaire s’est close un an après mon installation lorsque Madeleine est venue me consulter. Elle m’avait déjà proposé de passer boire un apéritif. Je n’avais pas encore donné suite, un peu par manque de temps, un peu parce que j’évite de trop mélanger travail et familiarité.

Du haut de ses quatre-vingt-sept ans, elle avait décidé de me relancer.

— Je sais que vous êtes chargé, Docteur, mais venez prendre un verre à la maison un de ces jours. On ouvrira une bouteille de champagne.

— C’est gentil, Mme Madeleine, je vais essayer. Mais, vous savez, je n’ai pas énormément de temps.

— Bah ! Vous le trouverez. Et puis… vous avez un petit copain ?!

— Euh… oui, en effet.

— Mais venez donc avec !

C’est ainsi que nous y sommes finalement allés tous les deux et que nous avons passé un bon moment à papoter tous les quatre.

Depuis notre déménagement dans un village voisin, on me demande régulièrement des nouvelles : « Comment va votre ami ? Il a trouvé un travail ? C’est un tellement gentil garçon. »

L’an dernier, Gérard et Madeleine ont tenu à nous inviter pour leurs noces de platine. Très fiers, ils m’ont rapporté la photocopie de l’édition du journal régional relatant cet évènement. Avec grande photo en couleur. « Regardez Docteur, comme vous êtes beaux tous les deux sur la photo ! »

***

P.S. Le joli docteur qui illustre ce billet est vraiment médecin. Il s’agit du Dr Frank Spinelli qui exerce à New York. La loi américaine n’étant pas du tout aussi restrictive que la loi française, il a choisi de profiter de sa belle mine pour développer un créneau porteur dans une optique « communautaire » à l’anglo-saxonne.

Je n’ai pas cette ambition.

Edition du 30/08/2011

L’ami David Gilson m’a gratifié d’un tendre dessin pour illustrer ce billet :

La vie à sac

Je souhaite garder à ce blog son caractère personnel et indépendant.

Pourtant, cette fois-ci, je vais faire un écart en relayant cette campagne de Médecins du Monde.

La thématique n’est pas étrangère à mes sujets de préoccupation habituels. Le fond est juste. La forme est belle.

Ce sera aussi un hommage à tous les bénévoles et militants, de France et d’ailleurs, de MDM et des autres associations, qui n’ont pas renoncé à essayer de dresser des barrages contre le Pacifique. Qui continuent à donner d’eux-même pour que, malgré l’évolution de notre monde, on ne perde pas tout à fait le sens de la fraternité.

Une pensée particulière à ma mère qui, il y a quelques années, assurait des permanences dans un bus de nuit de la mission France de  MDM. Elle allait ainsi à la rencontre de toxicos et d’autres « marginaux ». Elle me confiait ses moments « chauds », tendus, bruts de décoffrage ou simplement cocasses qu’elle prenait soin d’épargner à mon père pour ne pas trop l’effrayer…

#Fier