Archives mensuelles : avril 2010

Le monde merveilleux

Germaine était guichetière à la SNCF. Aujourd’hui, elle est retraitée.

Elle est toujours communiste. De ce communisme populaire du temps de l’engagement syndical et des conquêtes sociales. Du temps où on pensait qu’en se serrant les coudes, on ferait bouger les choses et que ça irait mieux demain.

Simple guichetière, elle reste totalement, entièrement, dévouée à la SNCF. A mi-chemin entre le corporatisme de fonction publique et le sentiment d’avoir participé à une Oeuvre au service de tous.

Quand je viens la voir en visite, ça n’y manque pas. Elle me parle de « la maison ».

Comme chaque sou compte, elle épluche ses relevés et appelle régulièrement la SNCF pour râler ou pour comprendre.

Elle est extraordinaire. Elle est convaincue, à chaque fois qu’elle appelle que la personne à l’autre bout du fil la connaît, elle, personnellement. Elle est convaincue que le téléopérateur me connaît bien aussi, directement, puisqu’il sait que c’est moi qui suis Germaine et quel traitement je lui prescrits.

Pour elle qui a vécu le temps des fiches cartonnées, un téléopérateur avec sur son écran la totalité des données qui la concerne, les remboursements qu’elle a eu, le nom de ses médecins, ce n’est tout simplement pas conceptuellement imaginable.

La semaine dernière, elle me disait, qu’elle avait discuté avec son fils de son avenir. Elle est en train de se demander si elle « ne va pas retourner chez ‘nous’ à la maison de retraite de la SNCF ».

Puis elle s’est lancée dans une histoire de remboursement de 7 euros qui correspondait d’après elle à deux bouteilles de sirop pour la toux qu’elle avait cherché à la pharmacie. « Ils ont dû se dire qu’elle était en train de crever la mère Germaine à la SNCF ! »

Ça… je suis même sûr que Guillaume Pépy demandait un bulletin médical complet  chaque matin.

Et de finir avec le divorce de son fils qui la préoccupe beaucoup. « Je lui ai dit qu’on avait des bons avocats à la boîte. C’est sûr, si la SNCF s’en mêle, elle f’ra pas la maline l’autre !' »

N’a-t-elle pas pu ? pas voulu ? voir changer les choses. Le reste du monde a bougé mais, elle, elle a tenu bon, accrochée à ce qui a fait sa vie. A son monde merveilleux.

D’une certaine façon, moi aussi ça m’émerveille.

In God we trust (bis)

Oh mon Dieu !!!

Je viens de voir un autre de mes patients américains qui passe les 6 mois d’été ici.

On l’a opéré l’an dernier des amygdales. A 48 ans il était temps.

Ça a été fait en hospitalisation de jour : arrivé le matin, reparti chez lui le soir.

L’addition facturée par la clinique ? SEIZE MILLE dollars !

Pour un acte qui doit tourner – chirurgie et anesthésie compris, hors dépassements – autour de 200 € en France.

« And my friends ask me why I want to live here ! »

Je ne suis toujours pas blasé.

Révolution

Longtemps j’ai cru qu’on ne pouvait vieillir que malade, grabataire, dément. (*)

Et que, comme on était malade, grabataire ou dément, on était forcément institutionnalisé.

Mes grands-parents étaient déjà décédés depuis quelques années et je n’avais de vision des personnes âgées que celle que me renvoyaient l’hôpital pendant mes stages d’externe ou les maisons de retraite pendant mes nuits infirmières.

Pas très gai, autant dire.

Ce n’est qu’en débutant les remplacements que j’ai réalisé qu’on pouvait aussi avoir 85 ans, vivre chez soi, souvent encore en couple et en pas trop mauvaise santé. Une vraie découverte.

J’ai fait un jour un remplacement sur la côte bretonne. Et c’est au fin fond de la lande, dans un petit hameau, que j’ai fait une visite qui a totalement révolutionné ma façon de voir la vieillesse et comment elle pouvait être vécue.

La secrétaire m’avait prévenu : il fallait actionner le loquet en hauteur, rentrer, trouver la vieille dame et laisser l’ordonnance sur le buffet en partant, après avoir pris le chèque qui s’y trouverait.

C’était une très, très vieille dame. Et elle était très, très démente.

Les patients qui ont une maladie d’Alzheimer sont désorientés dans le temps et dans l’espace. Quand on leur demande « Qui est le président de la République ? », ils répondent « Giscard ». Par exemple.

Elle, elle avait une maladie d’Alzheimer extrêmement évoluée et elle ne répondait plus rien du tout : elle était totalement mutique et déambulait tranquillement dans sa maison comme un petit fantôme en chair et en os.

Parce qu’elle vivait toute seule la petite dame. Toute seule dans sa grande maison avec son petit jardin.

Les choses étaient bien organisées : les aides ménagères passaient trois fois par jour, pour la toilette et pour la faire manger. Le fils n’habitait pas trop loin et venait chaque jour. Il avait sécurisé la maison au mieux. Le gaz était coupé, les prises électriques obturées, les seuils protégés et tous les coins de meuble étaient rembourrés avec de la mousse collée avec du gros scotch marron. Ça donnait un petit air de maison que les déménageurs allaient bientôt vider.

Je n’ai pas vu le fils mais j’imagine qu’il avait parfaitement accepté la possibilité que sa mère tombe un jour et se casse la hanche, ou la tête. Ou bien qu’elle fasse un infarctus et que ça tourne mal parce qu’elle était incapable d’appeler des secours. Il avait visiblement accepté ça et décidé que, malgré tout, ça valait toujours mieux que de la laisser s’éteindre doucement dans la bulle sécurisée – encore que – d’une maison de retraite ou d’un long séjour.

Bien sûr, ce n’est pas toujours possible. Ça nécessite des moyens humains, et souvent financiers, conséquents. Certaines situations médicales sont réellement ingérables. Il faut qu’il y ait un entourage suffisamment présent et disponible. Et il faut que celui-ci ait accepté le risque d’un accident dont il pourrait se sentir fautif. Tout le monde n’en est pas capable.

N’empêche qu’avant cette visite, je n’aurais jamais imaginé qu’une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer puisse être ailleurs que dans une institution. Et alors, seule à domicile ! C’était tout simplement inconcevable.

Merci à cette petite grand-mère bretonne et à sa famille de m’avoir fait découvrir que ça l’était, concevable, et que d’autres solutions étaient possibles.

(*) Pour les non médecins, il me semble utile de préciser que le terme « démence » n’a pas du tout le même sens dans le langage médical et dans le langage courant. Dans le langage médical, ce mot évoque une altération des fonctions cognitives (les « fonctions supérieures » ou « nobles » du cerveau).
La « démence » relève de la neurologie ou de la gériatrie, pas de la psychiatrie. Parmi les démences les plus connues : la maladie d’Alzheimer, la maladie de Creutzfeld-Jacob, …

Salies

Elles arrivaient de la maison de retraite. Trois générations ensemble : la fille, la petite et l’arrière-petite-fille de Robert.

Elles n’avaient pas pris rendez-vous, sous le coup de l’émotion. Ça ne tombait pas trop mal, j’étais dans mes papiers et j’avais le temps.

Robert a 86 ans, du diabète et un drôle de caractère. Je n’ai jamais trop su la part de sa personnalité d’origine, de l’âge et de son ancien alcoolisme. Il est un peu simplet mais pas dément. Il sait parfaitement de quoi on parle.  Je ne suis pas un grand fan des neuroleptiques que lui prescrit le psychiatre mais il faut reconnaître que ça ne va pas trop mal avec.

Il m’amuse quand je le vois déambuler dans le village et qu’il me salut en levant le bras bien haut. Je me bidonne à chaque fois que les aides-soignantes me racontent, en râlant, ses ruses de sioux pour écumer les chambres des autres pensionnaires et leur piquer des petits gâteaux. Et je rigole dans ma tête quand je lui parle de son diabète, de l’alimentation et qu’il me jure que « Non, non, Docteur, je ne mange RIEN entre les repas ! » « Bon, c’est bien, il faut continuer comme ça, hein ! ».

Faut bien reconnaître qu’il est assez porté sur la chose, Robert. Il aime bien les dames. Quand il peut flirter un peu avec une qui est d’accord et échanger des bisous, c’est une bonne journée.

Il y a 10 jours, l’infirmière de la maison de retraite m’a raconté qu’ils avaient quelques soucis avec lui : on l’avait surpris deux fois dans les toilettes avec des pensionnaires, le pantalon sur les chevilles et la main dans la culotte de la dame.

La sexualité des personnes âgées, surtout dans une maison de retraite, est quelque chose d’assez tabou et qu’on a généralement beaucoup de mal à concevoir. Pourtant elle existe et il faut la respecter.

Le problème, c’est que Robert choisissait ses « partenaires » parmi les patientes les plus démentes et que, du coup, ça semblait difficile de parler de consentement. Un peu gênant…

Bref, il s’était fait convoqué chez le directeur qui l’avait sermonné et menacé en faisant les gros yeux de ne pas pouvoir le garder.

Moi, on me soumettait le cas, attendant de la médecine une solution miraculeuse.

J’avais répondu que je n’en avais pas. Que, si c’était vraiment nécessaire, on pouvait discuter de médicaments anti-testostérone mais que ça ne résoudrait peut-être pas tout et que ça posait quand même quelques problèmes éthiques chez un patient qui ne serait probablement pas d’accord si on lui demandait son avis et à qui c’était difficile de ne pas le demander puisqu’il n’était pas sous tutelle.

J’avais donc proposé de se donner un peu de temps et de voir ce que donnerai le sermon du directeur.

Et donc, aujourd’hui, elles étaient venues rendre visite à leur (arrière-) (grand-) père.

Elles sont venues directement chez moi juste après, éprouvées, me demander mon opinion. Je la leur ai donnée. Je leur ai expliqué les limites d’un éventuel traitement, les problèmes éthiques que ça pouvait soulever. Je leur ai surtout dit que je ne voyais pas très bien pour quelle raison on les avait mêlées à ça.

Car il y avait eu cette aide-soignante pour leur raconter les bêtises du papi en espérant…

En espérant quoi, pauvre idiote ? Que leurs sermons auraient plus d’efficacité que ceux du directeur avec sa grosse voix et son autorité ? Qu’elles allaient apporter une solution que personne d’autre n’avait ? Qu’au moins ça allait lui faire la leçon à ce vieux vicieux ? Qu’en leur mettant ça sur les épaules ça allait soulager les tiennes ?

Rien ! Ça ne changera rien à la situation de les avoir mêlées à ça.

Sinon qu’au lieu de garder en mémoire l’image d’un père et d’un grand-père un peu folklorique, gentiment fada et dragueur, elles garderont celle d’un vieux cochon avec le pantalon sur les chevilles.

Vraiment, bravo.

En quoi est-ce qu’elles méritaient, elles, de se sentir ainsi salies ?

In God we trust

J’ai beau exercer au milieu de rien, j’ai une patientèle très internationale qui vient des cinq continents.

Bon, ce n’est certainement pas non plus les mêmes nationalités que dans une ZUP : mon seul patient « africain » est un Kenyan… blanc.

Et mon seul patient noir est américain : Marvin.

Je l’ai revu hier à son retour des States où il avait passé quatre mois pour régler des affaires. Il venait faire renouveler son traitement pour la prostate.

Pendant son absence, son épouse était passée me demander une ordonnance pour acheter le médicament ici et le lui envoyer par la poste parce que, là-bas, « It’s much more expensive. ».

« Beaucoup plus cher » ? Mmmouais… j’avais fait l’ordonnance en me demandant s’ils n’allaient pas payer davantage pour l’affranchissement.

Marvin m’a donc raconté hier que la boite mensuelle de Tamsulosine qu’il paye 14 € ici, il l’avait trouvée aux Etats-Unis à… 467 $.

QUATRE CENT SOIXANTE SEPT putains de dollars pour un mois de traitement d’un médicament même pas vital !!!

Je lui ai demandé de m’écrire le chiffre tellement je pensais ne pas bien comprendre.

Il m’a aussi raconté qu’il y a quelques années il avait fait une colique néphrétique. Quatre heures d’hospitalisation. Facture : 8 000 dollars ! La dernière qu’il a faite ici, ça lui a coûté 22 € pour moi, une quarantaine pour l’échographie et une quinzaine pour les médicaments. Tout ça remboursé par le Sécu.

Et il a fini avec un de ses frères qui est décédé il y a quelques années faute d’avoir pu payer sa chimio.

Je savais que de plus en plus d’Etats-uniens allaient acheter leurs médicaments sur le net ou au Canada. J’avais vu l’indispensable « Sicko » de Michael Moore. Mais quand même…

Des différences tellement énormes, je n’arrive pas à ne pas m’en étonner.

Les masses de fric concernées, les lobbies jouant à fond, la puissance des firmes que cela affecte, voilà les montagnes qu’Obama essaie de faire bouger.

En attendant, on comprend mieux l’importance de Dieu dans la culture états-unienne.

Car confier leur santé à la divine Providence, c’est bien la seule chose qui leur soit gratuite.

Chère Roselyne,

Permets-moi tout d’abord de te féliciter pour ta reconduction au Ministère. C’est là un beau témoignage de la progression de la parité en politique. En effet, quel meilleur exemple que de constater qu’une femme n’a plus besoin d’être compétente pour être considérée à l’égal des hommes ?

Permets-moi aussi, j’espère, ce tutoiement qui se veut bien plus républicain que familier.

Je sais que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 n’a pas été un franc succès et que c’est une croix bien lourde que tu as à porter. Ce n’est pas mon ami Christian Lehmann qui dira le contraire. C’est pourquoi je suis désolé de devoir te retourner encore le couteau dans la plaie.

Fin janvier, tu nous as enfin autorisés, simples généralistes que nous sommes, à pouvoir vacciner nos patients. Le geste était sympathique mais un peu tardif puisque nous savions déjà tous que l’épidémie était terminée depuis quelques semaines. Certes, tu répétais à qui voulait l’entendre qu’on n’était pas vraiment sûr et qu’il pourrait y avoir une deuxième vague… plus tard, au printemps, pour la Pâques ou à la Trinité. Les experts et autres relais d’opinion répétaient en choeur le message.

On savait bien, nous, qu’il n’y avait pratiquement aucun risque et, de fait, nous n’avons rien vu venir. Même pas une vaguelette. La plage est restée calme.

Aussi j’ai été bien embêté quand un de mes petits papis de 92 ans s’est présenté le 1er février avec la lettre à en-tête que tu lui avais adressée pour lui dire que, ça y était, son tour était venu de se faire vacciner.

Le problème, c’est que c’était un papi très, très gentil mais aussi très, très sourd et chez qui je dois toujours tout expliquer deux ou trois fois.

Je lui ai dit en hurlant « Vous êtes sûr de vouloir vous faire vacciner ? Vous savez, l’épidémie de grippe est terminée cette année. »

Et lui de me répondre : « Mais, c’est marqué là que je dois me faire vacciner. » En me tendant le bon.

Là, je l’avoue, je n’ai pas voulu prendre les probables 20 minutes nécessaires pour essayer de lui expliquer, en ruinant mes cordes vocales, la situation et l’inutilité de cette injection. Essayer de lui faire comprendre que celle-ci ne servait probablement à rien mais que celle qu’on fait chaque année à l’automne servait probablement à quelque chose. Mais qu’on n’était pas vraiment sûr de tout ça. Et que la grippe saisonnière et la H1N1 ce n’était pas vraiment différent mais que les vaccins ce n’était pas les mêmes…

J’ai été lâche et j’ai abdiqué devant l’en-tête de la République Française.

J’ai préféré prendre 3 minutes pour traverser la rue et aller chercher une boîte de vaccins à la pharmacie en face.

Et je l’ai vacciné.

Comme à ce moment là, il n’y avait pas de vaccins à l’unité, je me suis retrouvé avec une boîte de 10 sur les bras.

Aujourd’hui, il m’en reste donc toujours 9 qui seront périmés en août et, vraiment, je ne vois pas ce que j’en ferai.

C’est pourquoi je te renvoie cette boite, peut-être en auras-tu l’utilité ? Tu avais l’air de tellement t’amuser lorsque tu te faisais vacciner devant les caméras.

Dans le pire des cas, je sais que ça te consolera un peu de savoir que c’est 9 doses de vaccins fichues pour les patients mais pas fichues pour le cours de Novartis.

Et que ça fera toujours 9 doses de plus pour présenter des statistiques un peu moins ridicules aux enquêteurs parlementaires.

Dans l’immédiat, permets-moi de te présenter, chère Roselyne, mes salutations les plus républicaines.